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Ruine par une Peinture
Fiona Grace


Un Roman Policier de Lacey Doyle #6
«Extrêmement divertissant. Cet ouvrage a sa place de choix dans la bibliothèque de tout lecteur.rice privilégiant les enquêtes savamment construites, les rebondissements et une trame captivante. Vous serez conquis. L’ouvrage idéal pour les froides journées d’hiver !». – Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (Meurtre au Manoir). RUINE PAR UNE PEINTURE (Un Roman Policier de Lacey Doyle – Tome Six) est le sixième tome de la charmante nouvelle série de cosy mysteries par Fiona Grace, qui commence par MEURTRE AU MANOIR (Tome 1), un bestseller n°1 avec plus de 100 fois 5 étoiles – et en téléchargement gratuit!Lacey Doyle, 39 ans et fraîchement divorcée, a opéré un changement drastique : elle a délaissé sa vie trépidante à New York et s’est installée dans la pittoresque ville en bord de mer de Wilfordshire… L’automne est arrivé à Wilfordshire, apportant avec lui les festivals culinaires automnaux, des vacances charmantes et un retour rafraichissant à la normalité. Pour fêter leur nouvelle demande, Lacey et Tom partent ensemble pour un petit voyage à la campagne, et Lacey est ravie de tomber sur une peinture rare dans un endroit des plus inattendus – une cabane en bord de route… Mais Lacey n’a aucune idée d’à quel point cette œuvre est rare et de grande valeur. Quand elle apprend cette stupéfiante nouvelle, elle est confrontée à un dilemme – devrait-elle la rendre ou non ? – quand un rebondissement et un cadavre la propulsent en plein dans un crime qu’elle doit, avec son chez compagnon canin à ses côtés, résoudre – ou elle perdra tout ce pour quoi elle a travaillé… RÉDUIT AU SILENCE PAR UN SORT (Tome 7), PIÉGÉE PAR UN FAUX (Tome 8), et CATASTROPHE DANS UN CLOÎTRE (Tome 9) sont aussi disponibles en précommande!





Fiona Grace

TUE PAR UNE PEINTURE




TUE PAR UNE PEINTURE




(Un Roman Policier de Lacey Doyle – Tome 6)




FIONA GRACE



Fiona Grace

L’auteure débutante Fiona Grace est l’auteure de la série LES HISTOIRES À SUSPENSE DE LACEY DOYLE, qui comporte neuf tomes (pour l’instant), de la série des ROMANS À SUSPENSE EN VIGNOBLE TOSCAN, qui comporte quatre tomes (pour l’instant), de la série des ROMAN POLICIER ENSORCELÉ, qui comporte trois tomes (pour l’instant) et de la série des ROMANS À SUSPENSE DE LA BOULANGERIE DE LA PLAGE, qui comporte trois tomes (pour l’instant).



Comme Fiona aimerait communiquer avec vous, allez sur www.fionagraceauthor.com (http://www.fionagraceauthor.com/#_blank) et vous aurez droit Г  des livres Г©lectroniques gratuits, vous apprendrez les derniГЁres nouvelles et vous resterez en contact avec elle.








Copyright © 2020 par Fiona Grace. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d’auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule jouissance personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire par destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes priés de le renvoyer et d’acheter votre exemplaire personnel. Merci de respecter le travail difficile de l’auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les événements et les incidents sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n’est que pure coïncidence.

Image de couverture : Copyright Helen Hotson, utilisé en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com.



PAR FIONA GRACE




UN ROMAN POLICIER ENSORCELÉ


SCEPTIQUE ГЂ SALEMВ : UN Г‰PISODE DE MEURTRE (Tome 1)




LES ROMANS POLICIERS DE LACEY DOYLE


MEURTRE AU MANOIR (Tome 1)


LA MORT ET LE CHIEN (Tome 2)


CRIME AU CAFÉ (Tome 3)


UNE VISITE CONTRARIANTE (Tome 4)


TUÉ PAR UN BAISER (Tome 5)


RUINE PAR UNE PEINTURE (Tome 6)




ROMAN ГЂ SUSPENSE EN VIGNOBLE TOSCAN


MГ›R POUR LE MEURTRE (Tome 1)


MГ›R POUR LA MORT (Tome 2)


MГ›R POUR LA PAGAILLE (Tome 3)




CHAPITRE UN


L’odeur des tomates rôties emplissait la cuisine de Crag Cottage. Lacey alla à la cuisinière Aga et sortit la plaque de cuisson. Les tomates commençaient tout juste à caraméliser.

– Elles sont cuites, annonça-t-elle à Gina.

Son amie aux cheveux frisés gris leva le nez en l’air et renifla. C’était exactement le même mouvement que les deux bergers anglais qui se prélassaient à ses pieds, et Lacey ne put s’empêcher de glousser.

– Ça sent merveilleusement bon, dit Gina.

Lacey sourit avec nostalgie.

– Avant, Papa faisait de la soupe à la tomate rôtie le premier jour de l’automne.

Lacey avait très peu de souvenirs de son père. Il avait disparu quand elle n’était qu’une enfant. Mais l’odeur de sa soupe à la tomate rôtie était toujours aussi vive.

– Heureusement qu’il me restait un kilo de tomates de cet été alors, répondit Gina. Elle ajusta ses lunettes épaisses à monture rouge et regarda le soleil radieux par la fenêtre. Difficile de croire que c’est l’automne.

Il faisait anormalement chaud, plus chaud en fait que pendant l’été. Des rayons de soleil traversaient les grandes fenêtres de la cuisine et tombaient sur Lacey tandis que celle-ci poursuivait sa préparation de la soupe. Elle plongea les tomates rôties dans une grande marmite, y ajouta du bouillon de poulet, glissa quelques feuilles de laurier fraîches provenant du jardin et mit à mijoter. Puis elle prit son verre de vin et se glissa sur un tabouret en face de Gina, à l’îlot de cuisine.

– Que penses-tu des pois de senteur ? dit Gina en levant ses yeux bleus interrogateurs de son magazine de jardinage.

Lacey coinça une boucle sombre derrière son oreille et fit une grimace.

– Les pois sont l’un des légumes que j’aime le moins.

Gina rit.

– Je ne parle pas de nourriture ! Je veux dire les fleurs ! Pour le mariage ! Ça fait des semaines que Tom a fait sa demande et la seule décision que tu aies prise jusqu’à présent est de me confier la gestion des fleurs !

Elle avait raison. Des semaines s’étaient écoulées depuis ce moment magique où Tom avait fait sa demande à Lacey lors de sa fête surprise pour son quarantième anniversaire, et désigner son amie à la main verte comme demoiselle d’honneur était la seule décision qu’elle avait prise. Elle n’avait même pas encore pris de dispositions concernant la date, le lieu et la robe. Pas même la liste des invités…

Et c’était la vraie raison de son hésitation. Comment pouvait-elle vraiment planifier le mariage de ses rêves si son père n’était pas là pour la mener à l’autel ?

– Montre-moi la photo, dit-elle, en essayant de ne pas laisser son chagrin transparaître sur son visage.

Gina fit pivoter son magazine.

Lacey regarda la photo de petites fleurs dГ©licates, dans une gamme de roses, de violets et de crГЁmes aux couleurs pastel.

– Elles sont un peu… cucul, dit-elle.

Gina leva les yeux au ciel.

– Tu sais que tu as eu quelque chose de négatif à dire sur chaque fleur que j’ai suggérée jusqu’à présent ?

– Vraiment ? demanda Lacey en grimaçant.

Gina retourna le magazine. En secouant la tГЄte, elle murmuraВ :

– Je ne t’avais jamais prise pour une Bridezilla.

Bien sûr, Lacey n’était pas de ce genre. En ce qui concernait les détails de la cérémonie de mariage, elle était plus détendue que la future mariée ordinaire. Mais elle n’avait pas le courage de dire à Gina que toutes les fleurs du monde ne pouvaient pas compenser l’absence de son père.

– Je ne suis pas une Bridezilla, dit-elle. Les fleurs sont juste très importantes pour moi. Plus importantes que tout le reste. Je ne veux pas me précipiter et prendre des décisions que je pourrais regretter plus tard.

Pendant un bref instant, il sembla que Gina allait peut-être accepter l’explication de Lacey. Mais ensuite, elle se pencha en avant sur ses coudes et plissa les yeux d’un air suspicieux.

– Ce n’est pas ça, dit-elle, comme une sorte de voyante qui lit dans les pensées. Je te connais trop bien. Que cachez-vous, mademoiselle ?

– Rien, dit Lacey, sur la défensive, en secouant la tête.

Mais elle savait que Gina n’allait pas laisser tomber. Son amie n’était pas du genre à renoncer face à un conflit.

– Oh vraiment ? insista Gina. Parce que tu n’as presque rien organisé. Tu n’as pas fixé de date. Tu as rejeté toutes les idées de fleurs que je t’ai proposées. Si je puis me permettre, tu n’as pas l’air très enthousiaste à l’idée de ce mariage.

Lacey laissa Г©chapper un bruit railleur et offensГ©.

– Je suis enthousiaste, répliqua-t-elle. Je suis juste… occupée.

– Occupée à quoi ? demanda Gina. La période touristique estivale est terminée. Tu viens d’engager Finnbar pour faire des heures au magasin. Tu as plus de temps pour organiser ce mariage que depuis que tu as quitté New York ! Sa voix s’adoucit. Elle tendit la main et tapota celle de Lacey. Est-ce parce que c’est ton deuxième mariage ? Tu as peur que ça se termine mal comme la dernière fois ?

– Ce n’est pas ça, c’est…

L’explication de Lacey était sur le bout de sa langue. Mais elle ne trouvait pas les mots. Ils semblaient coincés dans sa bouche comme du beurre de cacahuètes. Elle ne pouvait pas admettre à Gina qu’il y a quelques semaines, elle avait finalement fait le grand saut dans ses tentatives pour contacter son père.

Tout avait commencé lorsqu’elle avait eu une piste sur ce dernier grâce à un contact dans le monde des antiquaires, Jonty Sawyer de la maison de vente aux enchères Sawyer & Sons à Weymouth, un endroit que son père avait apparemment fréquenté tous les week-ends pendant un an. Jonty avait transmis l’adresse de son père en Angleterre – Mermaid Street à Rye, dans l’East Sussex – que Lacey avait notée avant de la ranger lâchement dans un tiroir. Comme le cœur d’Edgar Allan Poe qui battait sous le plancher, le tiroir semblait battre à chaque fois qu’elle passait à côté, l’obligeant à réfléchir longuement à l’adresse cachée à chaque seconde de chaque minute de chaque jour.

Finalement (et grâce à un peu de courage puisé dans l’alcool), Lacey avait réussi à écrire une lettre, une invitation à son mariage. Elle espérait que son père pourrait être tenté de sortir d’hibernation pour celui-ci. Mais elle n’avait reçu aucune réponse.

Après tout cela, elle se sentait bête. Qu’est-ce qui lui faisait croire qu’elle pourrait inciter son père à revenir dans sa vie avec un mariage ? Après tout, il avait manqué son premier mariage avec David, alors pourquoi s’était-elle permis d’espérer que ce serait différent cette fois-ci ?

Une lourdeur s’installa dans le cœur de Lacey. Elle décida qu’il serait plus facile de laisser Gina penser ce qu’elle voulait.

– Tu as raison, dit-elle en soupirant. C’est pour ça que je traîne les pieds.

Gina secoua sa tГЄte de frisottis gris.

– Chérie, chérie, chérie, dit-elle doucement. Ce que tu as avec Tom est spécial. Il ne te traiterait jamais comme David, comme une sorte de couveuse pour bébé.

Lacey essaya de sourire, mais la tentative maladroite de Gina pour la réconforter avait en fait soulevé une autre des plus grandes incertitudes de Lacey. Lacey venait d’avoir quarante ans et la possibilité de fonder sa propre famille diminuait rapidement. Elle n’avait pas encore pris de décision, et encore moins discuté avec Tom.

– De plus, poursuivit Gina, qui ne se rendait absolument pas compte du malaise de Lacey, pense à quel point ce sera génial quand ta mère, ta sœur et le petit Frankie viendront ici !

Loin de lui remonter le moral, penser à sa famille à New York fit dégringoler l’estomac de Lacey de honte. Parce qu’elle ne leur avait même pas encore parlé des fiançailles. Des semaines s’étaient écoulées et tout le monde, du facteur au laitier, était au courant des fiançailles de Lacey et de Tom. Mais elle avait complètement laissé sa propre chair et son sang dans l’ignorance.

Lacey savait qu’il était impardonnable de ne pas leur dire, peu importe le nombre de fois qu’elle avait essayé de justifier ses actions – qu’elle avait droit à sa vie privée, qu’elle voulait profiter de ce moment avec Tom un peu plus longtemps, qu’elle ne leur faisait pas confiance pour ne pas le dire immédiatement à son ex-mari et qu’elle voulait éviter de lui en parler le plus longtemps possible – mais peu importe l’excuse qu’elle trouvait, elle n’était jamais assez adéquate pour justifier son comportement. Il n’y avait pas deux façons de le faire. En ne le leur disant pas, elle était une mauvaise fille, une mauvaise sœur et une mauvaise tante.

Lacey s’agita, mal à l’aise, sur son tabouret et prit une grande gorgée de son verre de vin. En réponse à son silence, Gina poussa un cri.

– Tu ne leur as même pas encore dit, s’exclama-t-elle.

Elle devient trop douГ©e pour ces conneries de tГ©lГ©pathie, pensa Lacey.

– Non, confirma-t-elle.

Gina eut l’air horrifiée.

– Pourquoi pas ? insista-t-elle.

Pourquoi pasВ ? Pourquoi pasВ ? La question avait tourmentГ© Lacey tout autant que cette fichue adresse cachГ©e dans son tiroir.

Soudain, Lacey réalisa d’un seul coup que les deux étaient complètement liés. La véritable raison pour laquelle elle avait gardé ses fiançailles secrètes était qu’elle attendait toujours et espérait que son père répondrait à sa lettre. Elle s’accrochait à cette mince possibilité, aussi stupide soit-elle, que son mariage pourrait bien être la réunion de famille qu’elle souhaitait depuis qu’il l’avait abandonné étant enfant. Elle attendait une réponse dont elle savait qu’elle ne viendrait probablement jamais.

– Alors ? demanda Gina.

ГЂ ce moment, le minuteur de la cuisine se mit Г  sonner.

– Oups, dit Lacey, en sautant de son tabouret. La soupe est prête.

Sauvée par le gong, pensa-t-elle en s’éloignant de Gina et de ses questions indiscrètes.




CHAPITRE DEUX


Lacey était occupée à dépoussiérer les étagères de son magasin d’antiquités lorsque la cloche au-dessus de la porte tinta. Chester laissa échapper un aboiement d’excitation, et Lacey jeta un coup d’œil pour voir Finnbar, son nouvel employé, entrer dans le magasin.

Le jeune homme maigre portait les mêmes vêtements, comme tous les jours : chemise à carreaux, pantalon cargo beige, brogues usées en cuir. Ses cheveux bruns étaient en bataille, de même que son menton, où poussaient une multitude de poils bruns et roux trop longs pour être du duvet, mais trop courts pour être une barbe, comme s’il ne pouvait pas décider ce qu’il voulait. Bien que, sachant combien Finnbar s’avérait être maladroit, il ne savait peut-être pas dans quel sens tenir un rasoir.

– Bonjour, appela Lacey.

Finnbar inclina la tête en guise de réponse polie (même s’il ne portait pas de casquette), puis il caressa Chester.

– Je prépare une théière ? demanda-t-il.

– S’il te plaît, dit Lacey. Tout ce dépoussiérage m’a laissée desséchée.

Elle regarda Finnbar disparaître par l’arche pour aller dans la kitchenette. C’était quelqu’un de routinier, remarqua-t-elle, toujours avec les mêmes vêtements, qui commençait toujours la journée par un signe de tête, une caresse pour Chester, et la proposition de préparer une nouvelle théière. Lacey ne se plaignait pas de se faire servir le thé, mais il s’était avéré être un étrange personnage depuis qu’elle l’avait engagé quelques semaines auparavant.

Elle venait de gagner un peu d’argent, après avoir vendu une sculpture d’Isidore Bonheur à une riche femme d’affaires ukrainienne. Tom l’avait demandée en mariage peu de temps après et Lacey avait décidé que la meilleure façon de dépenser son argent était d’engager quelqu’un pour l’aider au magasin afin qu’elle puisse consacrer plus de temps à l’organisation de la cérémonie. Elle et Gina avaient tout géré entre elles pendant des mois et des mois ; il était temps d’alléger leur charge de travail.

Finnbar préparait un doctorat en histoire à l’université d’Exeter, il était donc la personne idéale pour tenir la caisse les jours les plus calmes. Il pouvait ainsi lire ses gros volumes pendant les moments d’accalmie entre les clients et, de temps en temps, intervenir avec ses connaissances sur les époques des antiquités. Jusque-là, il avait gagné le surnom de “machine à faits”. Mais malgré ses connaissances encyclopédiques, il manquait cruellement de bon sens.

Tandis que Finnbar s’agitait dans la cuisine, la cloche de la porte se remit à tinter, cette fois-ci pour accueillir le premier client de la journée. Lacey se tourna vers la femme d’âge moyen, dont les cheveux brillants brun foncé retombaient net au-dessus des épaules de sa robe grise magnifiquement coupée.

– Bonté divine ! s’exclama la dame en s’éventant le visage. Il fait un peu chaud ici, non ?

Lacey sourit agrГ©ablement.

– Je suis presque sûre qu’il fait plus chaud maintenant qu’en août !

Mais plutôt que de se joindre aux plaisanteries amicales de Lacey, la femme fronça les sourcils.

– Alors pourquoi ne pas mettre l’air conditionné ? se plaignit-elle.

Lacey sentit son enthousiasme faiblir.

– Je ne pense pas que ce soit autorisé dans ce vieux bâtiment, répondit-elle.

Les rangées de bâtiments en pierre qui constituaient la majorité de l’architecture de Wilfordshire étaient notoirement difficiles à moderniser. Lacey devait partager ses charges avec Taryn, la propriétaire de la boutique d’à côté – ce qui était regrettable, car Taryn semble la détester – et chaque modification devait être approuvée par le conseil. Lacey avait vu sa première demande d’enseigne rejetée parce que le type de bois “ne correspondait pas à l’esthétique souhaitée par la ville”, pour l’amour de Dieu. L’installation d’un bloc d’air conditionné métallique et bruyant provoquerait probablement une émeute !

– Vous allez faire fuir les clients, dit la femme d’un ton arrogant. C’est trop étouffant. Et ça rend l’odeur de poussière encore plus forte.

Lacey aimait l’odeur poussiéreuse des antiquités. C’était une autre odeur réconfortante pour elle, comme la soupe à la tomate rôtie, parce qu’elle l’associait à son père.

– En quoi puis-je vous aider aujourd’hui ? demanda Lacey en se forçant à être polie. La femme grossière l’avait vraiment prise à rebrousse-poil.

– J’essaie de trouver un cadeau d’anniversaire de mariage à mes parents, pour leurs noces d’or, expliqua la femme. Ils se sont mariés dans les années 60, alors j’ai pensé que vous pourriez avoir un de ces vieux téléviseurs, ceux autour desquels toute la famille se réunissait. Vous savez de quel type je parle ?

Avant que Lacey ait pu rГ©pondre, Finnbar revint de la cuisine avec le plateau, la thГ©iГЁre et les tasses.

– Je suppose que vous parlez du Sony Trinitron KV-1210 ? demanda-t-il en posant le plateau sur le comptoir. Le modèle original de 12 pouces sorti en 1968 ?

Il pointa du doigt l’étagère des objets électroniques.

Lacey le regarda avec de grands yeux, perplexe. Comment savait-il Г§aВ ?

La femme regarda l’écran.

– C’est celui-là ! s’exclama-t-elle avec joie.

Elle se précipita et prit la télévision dans ses bras. Lacey pouvait voir à la façon dont elle gonflait ses joues qu’il était beaucoup plus lourd qu’elle ne l’avait prévu.

– Laissez-moi vous aider, dit Lacey en faisant un pas vers elle.

– Non, non, je l’ai, dit la cliente en l’écartant.

Lacey regarda, tendue, la femme se dandiner jusqu’au comptoir avec le lourd téléviseur, puis le lâcher maladroitement à côté de la théière bouillante. C’était la recette d’un désastre !

– Je suppose qu’il fonctionne, dit la cliente à Finnbar, sur un ton soudain mielleux.

– Aussi bien que dans les années 60, plaisanta Finnbar en retour, les yeux noisette pétillants.

La femme, qui avait été si brusque avec Lacey, rit de bon cœur de Finnbar. Il était clair qu’elle s’était entichée de lui.

Pendant que Finnbar enregistrait l’achat, Lacey l’observait avec hésitation. Il était maladroit dans le meilleur des cas, mais il était maintenant en train de négocier un gros appareil électronique à côté d’une théière d’eau bouillante.

– Voulez-vous que je vous aide à l’apporter à votre voiture ? demanda Finnbar en rendant à la femme sa carte de crédit.

– Oh non, ça va aller, dit-elle dans un trille.

Lacey se tint prête alors que la femme soulevait le lourd appareil dans ses bras et commençait à se dandiner vers la sortie.

– Quel charmant jeune homme, dit-elle à Lacey en passant.

Puis elle sortit sous le soleil Г©clatant de la fin septembre avec un grand sourire sur le visage.

Dès qu’elle fut partie, Lacey cessa de retenir son souffle. La catastrophe avait été évitée.

Elle se tourna vers Finnbar.

– Je suis impressionnée, dit-elle. Non seulement tu as rendu une cliente difficile heureuse, mais tu savais aussi quel type de télé elle voulait.

Finnbar haussa les épaules comme si ce n’était rien.

– C’était le modèle le plus populaire dans les années 60.

– Sans doute, dit Lacey. Mais c’est quand même impressionnant que tu saches ça par cœur.

– J’ai une bonne mémoire, répondit Finnbar en frottant timidement son menton inégalement garni.

Il inclina la théière et versa une tasse pour Lacey. Mais lorsqu’elle la lui prit des mains, elle regarda dedans et remarqua qu’il ne semblait y avoir rien d’autre que de l’eau chaude. Elle se mit à rire.

– Tu es sûre d’avoir une bonne mémoire ? le taquina-t-elle.

Les sourcils sombres de Finnbar se rapprochГЁrent avec confusion.

– Oui. Pourquoi ?

– Je pense que tu as oublié de mettre des sachets de thé dans la théière ! révéla Lacey.

Les joues de Finnbar devinrent rouge vif. Son regard se baissa sur sa propre tasse.

– Oh ! dit-il, soudainement troublé. Je suis bête. Je suis vraiment désolé. Mon Dieu. Laisse-moi arranger ça.

Il s’empressa de prendre la tasse de Lacey, clairement paniqué. Même ses oreilles rougissaient.

Lacey se sentait mal de l’avoir taquiné. C’était le genre de chose dont elle et Gina auraient ri si l’une d’entre elles avait fait la même erreur, mais Finnbar était clairement une personne plus sensible qu’elles. Elle devrait être plus bienveillante avec lui à l’avenir.

– C’est bon, dit-elle d’un ton rassurant. Ce n’est pas grave.

– Je-je suppose que non, bredouilla-t-il.

Il s’écarta d’elle, puis se précipita vers la cuisine pour aller chercher les sachets de thé et corriger son erreur.

Lacey le considérait avec encore plus de curiosité. Comment quelqu’un disposant d’autant de connaissances pouvait-il manquer de bon sens ?

C’est alors que Chester se remit à aboyer. Lacey regarda vers la porte pour voir Tom traverser la rue pavée entre leurs deux magasins. Le soleil automnal donnait à sa peau une teinte chaude presque dorée. Ses cheveux bruns avaient été éclaircis par le long et chaud été, avec des reflets blonds naturels accentuant sa chevelure par ailleurs châtain. Il était en pleine forme pour un homme d’une quarantaine d’années. Lacey pouvait voir les lignes de ses muscles à travers son T-shirt, même à cette distance.

Tom poussa la porte, faisant tinter la sonnette.

– Bonjour, ma fiancée ! appela-t-il en esquissant un sourire aux dents nacrées.

Lacey rayonnait.

– Bonjour à toi aussi, mon fiancé, répondit-elle. Que me vaut ce plaisir ?

Son beau fiancГ© traversa la piГЁce vers elle.

– J’ai une question à te poser, dit-il. Ses yeux vert pâle communiquaient soudain quelque chose de sérieux. C’est une question sur le mariage.

Il l’avait dit sur un ton prudent qui fit réfléchir Lacey. Jusqu’à présent, Tom avait été très patient concernant son d’absence de planification. Il semblait savoir qu’elle devait procéder une chose à la fois, ce qui était impressionnant pour Tom, qui pouvait parfois être si peu observateur qu’il était pratiquement aveugle. Mais bien sûr, il allait arriver un moment où elle devrait prendre des décisions concrètes, et Lacey avait l’impression que ce moment était peut-être venu.

– Quelle est la question ? demanda-t-elle, en essayant de conserver un ton léger.

– Je me demandais où nous allions nous marier, dit Tom. Quel pays, je veux dire. Le Royaume-Uni ou les États-Unis ? Parce qu’il est évidemment dans la tradition de le célébrer dans la ville natale de la mariée, mais je pense que ma famille élargie aurait besoin d’être avertie si c’était le cas. Certains d’entre eux ne sont pas particulièrement bien lotis financièrement et cela pourrait être beaucoup leur demander de se rendre aux États-Unis.

Il avait l’air mal à l’aise de lui demander et Lacey se sentait nulle pour cela. Peut-être que Gina avait raison. Elle se comportait comme une vraie Bridezilla à cause du fardeau du secret qu’elle gardait.

– N’en dis pas plus, dit Lacey en secouant la tête. Nous le ferons en Angleterre.

Les yeux verts de Tom étincelèrent d’excitation.

– Vraiment ? demanda-t-il. Puis il hésita. Tu ne dis pas ça parce que je t’ai dit que ma famille est trop pauvre pour voyager ?

Lacey lui toucha le bras de façon rassurante, ses doigts pâles contrastant avec sa peau naturellement couleur miel.

– Je ne dis pas ça juste comme ça, je te le promets. Je veux le célébrer ici. L’Angleterre est ma patrie. Plus que les États-Unis. Cela signifierait beaucoup pour moi de le faire ici. La plupart des gens que j’aime sont ici, de toute façon. Il n’y aurait que maman, Naomi et Frankie qui viendraient des États-Unis, et quelques vieux amis de l’université.

Tom souffla.

– OK. C’est un soulagement. Je ne voulais pas le dire, mais mon oncle est un vrai radin. Quand ma mère et mon père se sont mariés, il leur a envoyé une facture pour ses frais de voyage !

Lacey était sur le point d’en demander plus sur l’Oncle Radin quand elle fut distraite par un mouvement par-dessus l’épaule de Tom. Une silhouette inquiétante se balançait devant la vitrine de son magasin.

Lacey plissa les yeux en essayant d’identifier la personne. Puis sa poitrine se serra. C’était Taryn.

La propriétaire de la boutique d’à côté était habillée, comme d’habitude, d’une mini-robe noire. Ses cheveux noir de jais étaient coiffés dans un joli carré asymétrique (du même style que celui que Lacey avait arboré avant de le laisser pousser pendant l’été ; elle pensait encore secrètement que Taryn avait copié ce style sur elle).

– Que veut-elle ? marmonna Lacey entre ses dents, irritée d’avance.

Comme un cadavre flottant, Taryn poussa la porte et entra vers elle, ses talons aiguilles noirs et brillants créant des creux dans le plancher. Chester grogna tandis qu’elle avançait comme un ouragan.

Lacey se doutait qu’une sorte de réprimande allait lui être adressée et se prépara mentalement à l’arrivée de la tempête.

Mais soudain, Taryn cessa ses grandes enjambées. Elle avait remarqué que Tom se tenait là, et le changement de comportement fut instantané. Le froncement de ses sourcils sans rides s’atténua et un sourire éclatant (bien que guindé) apparut sur son visage.

– Thomas ! s’exclama-t-elle. J’ai entendu que les félicitations étaient de rigueur.

Lacey remarqua la façon dont son sourire se brisait au fur et à mesure qu’elle le disait, révélant une brève grimace en dessous. Taryn et Tom étaient sortis ensemble il y a de nombreuses années, bien avant que Lacey n’entre en scène, mais la fashionista en pinçait manifestement encore pour lui. Il était évident que la dernière chose qu’elle voulait faire était de les féliciter tous les deux.

– Merci, Taryn, dit Tom, inconscient du sentiment sous-jacent.

Taryn lui fit une bise dans le vide, puis se tourna vers Lacey.

– Félicitations à toi aussi, Lacey. Tu nous donnes à toutes de l’espoir.

Ah, le compliment ambigu typique de Taryn, pensa Lacey.

– Tu voulais quelque chose ? demanda Lacey en se forçant à être plaisante.

– En effet, répondit Taryn d’une voix efficace et professionnelle. Ça ne prendra pas longtemps.

Lacey lui lança un regard sceptique. Taryn disait toujours “ça ne prendra pas longtemps” juste avant de prendre tout le temps de Lacey.

Elle regarda Tom.

– Excuse-moi une seconde.

Il hocha la tête et s’éloigna en sortant son téléphone portable. Probablement pour jouer au jeu de guerre auquel il était devenu accro récemment…

Lacey accorda toute son attention Г  Taryn.

– Alors, qu’est-ce qu’il y a  ?

– C’est à propos du problème de l’air conditionné, dit Taryn. Tu sais que nous ne pouvons pas avoir de machines externes. Mais cet endroit est une fournaise et mes clients se plaignent. Les ventilateurs sur pied ne font pas l’affaire.

– Et ? demanda Lacey, ne sachant pas trop ce que tout cela avait à voir avec elle.

– J’ai découvert une faille, annonça triomphalement Taryn. Mais j’ai besoin de toi pour que ça marche.

Cela ne disait rien qui vaille Г  Lacey.

– Qu’est-ce que cette faille implique exactement ? demanda-t-elle.

Taryn pointa un doigt osseux vers l’alcôve de leur mur commun.

– Il y a une cheminée condamnée derrière, et on peut y installer un système interne. Je connais un gars qui va la convertir pour nous, et comme il n’y aura rien à l’extérieur, nous pouvons l’installer sans permis de construire et sans que la municipalité ne mette son nez dedans.

Lacey fronça les sourcils, sceptique.

– Pourquoi as-tu besoin de moi ? demande-t-elle.

– C’est ça le truc, répondit Taryn. Il faudra qu’il démolisse la cheminée des deux côtés.

– Pourquoi ?

– Est-ce que j’ai l’air de travailler dans la construction ? la défia Taryn, ouvrant les bras pour faire un geste vers sa tenue élégante.

Lacey roula les yeuxВ ; sa patience faiblissait.

– Un point pour toi. Tu sais au moins combien de temps cela prendra ? Et combien ça va coûter ?

– Eh bien, je voulais que tu sois d’accord avant de prendre la peine d’obtenir des devis, répondit Taryn, sur la défensive.

– Bon, eh bien, ma participation dépend un peu de ce que ça coûte.

Taryn souffla.

– Je savais que ça serait difficile pour toi !

– Je ne suis pas difficile, rétorqua Lacey. Je pose des questions ! Ce sera perturbant d’avoir des ouvriers ici, et je ne sais pas si ce sera vraiment rentable pour moi. Avoir l’air conditionné est moins important pour ma clientèle que pour la tienne.

Elle pensa alors à la cliente qui s’était plainte de la chaleur tout à l’heure. C’était peut-être une bonne idée, après tout ?

– Très bien, dit sèchement Taryn en coupant la parole à Lacey avant qu’elle n’ait eu le temps d’y réfléchir encore. Je vais demander un devis et te l’envoyer par e-mail.

Elle se retourna et s’éloigna, oubliant complètement de faire son numéro joyeux à Tom. Mais cela n’avait pas d’importance, il n’avait pas du tout remarqué son départ. Il avait pianoté sur son téléphone pendant tout ce temps, visiblement complètement absorbé par son jeu de guerre idiot.

– Comment va ton infanterie ? l’interpella Lacey en le taquinant gentiment.

L’attention de Tom se détourna de son téléphone pour se concentrer sur Lacey.

– En fait, je ne jouais pas à mon jeu. J’envoyais un message à ta mère.

Lacey fronça les sourcils avec curiosité.

– Pourquoi ? demanda-t-elle.

– Pour être sûre que ça ne la dérange pas de voyager pour le mariage, dit Tom.

Lacey eut l’estomac noué. Sa bouche s’ouvrit.

Oh non. Oh non, non, nonВ !

– Tom ! cria-t-elle, paniquée. Je ne leur ai pas encore dit !

– Pas encore dit quoi ? demanda Tom, fronçant les sourcils en réponse à son expression horrifiée.

– Je n’ai pas dit à ma famille que nous sommes fiancés ! s’exclama-t-elle.

L’aveu flotta dans l’espace entre eux. Puis Tom prit un air atterré.

– Quoi ? s’écria-t-il.

Mais avant que Lacey n’ait pu s’expliquer, son téléphone portable se mit à sonner. Ce devait être sa mère. Elle le savait, c’est tout.

Elle arracha ses yeux de Tom et prit son tГ©lГ©phone. Sans surprise, le nom de sa mГЁre clignotait.

Lacey en eut l’estomac retourné. Elle avait de gros, gros problèmes.




CHAPITRE TROIS


Lacey tenait à bout de bras son portable qui vibrait avec insistance. Mais elle savait qu’elle ne pouvait plus le remettre à plus tard. Il était temps de faire face aux conséquences.

Elle savait que cette conversation allait être très gênante et elle ne voulait pas que Tom l’entende bafouiller, alors elle décida de sortir dans le jardin pour avoir un peu d’intimité.

Elle laissa Tom dans le magasin, l’air hébété, et se précipita dans la salle des ventes en direction des portes-fenêtres. Au bruit de son passage précipité, Finnbar sortit la tête de la réserve et lui lança un regard perplexe. Lacey ne s’arrêta pas pour expliquer. Elle sortit simplement dans le jardin par les portes-fenêtres et appuya sur le bouton vert.

Elle Г©couta anxieusement la connexion ГЄtre Г©tablie.

– Bonjour, Lacey, dit la voix froide de sa mère. C’est ta mère. Tu te souviens de moi ? Je suis la femme qui t’a donné la vie. Qui t’a mise au monde.

Lacey inhala. Elles avaient dГ©jГ  pris un bon dГ©part.

– Maman, avant de dire quoi que ce soit, laisse-moi t’expliquer, dit-elle prudemment.

La personnalitГ© calme et froide de Shirley fit immГ©diatement place Г  la colГЁre.

– Expliquer ? cria-t-elle. Il n’y a aucun moyen de t’expliquer sur ce coup-là, Lacey ! Tu vas te marier ? Et tu ne me l’as pas dit ? Il a fallu que je l’apprenne, par accident, par Tom ? Qui, soit dit en passant, répond à mes appels et mes messages bien plus rapidement que toi.

La culpabilité tordait les tripes de Lacey. Elle grimaça.

– Je suis vraiment désolée, maman, dit-elle. Ce n’est pas que je ne te le disais pas. Je ne l’ai encore dit à personne.

C’était techniquement vrai. Puisque Tom avait fait sa demande devant tout le monde à sa fête d’anniversaire, elle n’avait pas eu besoin de le dire à quiconque car tout le monde le savait déjà. Mais un détail technique n’allait pas épargner à Lacey la honte qu’elle éprouvait ni la colère de sa mère méprisée.

– Alors c’est vrai ? demanda Shirley. Toi et Tom êtes vraiment fiancés ?

L’estomac de Lacey se retourna. D’une petite voix pleine d’excuses, elle le confirma.

– Oui. Nous le sommes.

– Je ne peux pas te croire ! cria Shirley.

Lacey écouta patiemment le monologue colérique de sa mère. C’était le moins qu’elle puisse faire vu la façon dont sa mère l’avait appris.

Lorsque Shirley se tut enfin, Lacey saisit sa chance pour se mettre Г  genoux et implorer.

– Je suis vraiment désolée, maman, dit-elle rapidement avant que Shirley ne puisse reprendre sa tirade rageuse. Ce n’était pas dans mon intention de te blesser. Je voulais te le dire, vraiment, mais… Elle imagina sa lettre à son père. Sa main lorsqu’elle l’avait poussée dans la fente de la boîte aux lettres rouge, pour ne plus jamais la revoir. C’est trop compliqué à expliquer, alors je n’essaierai pas. Je vais juste m’excuser et espérer que tu pourras me pardonner.

À l’autre bout de la ligne, tout était silencieux.

– Maman ? demanda Lacey. Tu es toujours là ?

Toujours rien. Pendant un moment déchirant, Lacey pensa qu’elle avait peut-être fait pleurer sa mère. Mais ensuite, elle entendit une série de bips sur la ligne et le bourdonnement de fond changea.

Г‡a doit ГЄtre une mauvaise connexion, pensa Lacey.

– Allô ? essaya-t-elle à nouveau. Tu es là ?

– Oui, je suis là, dit une voix qui n’était pas celle de Shirley, mais celle de Naomi.

– Naomi ? demanda Lacey, choquée. Que faisait sa sœur en ligne ? Qu’est-il arrivé à maman ?

– Je suis là aussi, dit Shirley.

Soudain, Lacey se rendit compte de ce qui se passait ; sa mère avait rajouté sa petite sœur à l’appel pour appeler des renforts. Lacey allait devoir faire amende honorable envers elles deux ! Dans le meilleur des cas, Naomi était dramatique ; il était impossible qu’elle puisse se contenir pour quelque chose d’aussi important que ça !

Lacey Г©tait tendue et nerveuse.

– De quoi s’agit-il ? demanda Naomi, l’air confus.

– Dis-lui, Lacey, ordonna Shirley. Dis-lui ce que tu as fait.

– Oh mon Dieu… dit Naomi, dont la confusion fit immédiatement place à la panique. Qu’est-ce que tu as fait ?

– Rien ! se dépêcha de lui assurer Lacey. Elle acceptait pleinement qu’elle était en tort, mais sa mère avait rendu ça inquiétant, comme si elle avait assassiné quelqu’un ! Enfin, rien d’illégal en tout cas.

– Crache le morceau, dit brusquement Naomi. Elle n’était pas du genre à mâcher ses mots.

– Oui, allez, Lacey, ajouta Shirley d’un ton cinglant. Ne laisse pas ta sœur en suspens.

Le cœur de Lacey commençait à palpiter. Elle tira sur le col de sa chemise, qui semblait soudain très serré.

– J-J’ai des nouvelles, bredouilla-t-elle. Tom m’a demandé en mariage. Et j’ai dit oui.

– Quoi ? cria Naomi. Tu es fiancée ?

– Surprise, ajouta doucement Lacey.

Il y eut une brГЁve pause avant que Naomi ne dise, simplementВ :

– Waouh.

Lacey ne savait pas trop quoi penser de son “wahou”. Elle était surprise, c’était évident. Mais il était presque impossible de savoir si elle était surprise en bien ou mal. Et elle ne lui avait même pas encore dit le pire…

– Je suis en état de choc, murmura Naomi. Tu vas te marier avant moi. Encore. Il doit vraiment y avoir quelque chose qui cloche chez moi si tu peux te marier deux fois avant même que je n’aille jusqu’à l’autel une fois. Mais j’imagine que si je m’engageais précipitamment dans des relations comme tu le fais, j’aurais aussi pu me marier plusieurs fois déjà.

Lacey fronça les sourcils. Elle aurait dû s’attendre à une réponse aussi dépourvue de tact de la part de sa jeune sœur.

– Rien de tout cela n’est le problème, intervint Shirley. Le problème est que Lacey ne nous l’a pas dit. Elle n’allait pas nous le dire du tout. Je ne l’ai appris que par accident grâce à Tom. N’est-ce pas, Lacey ? Dis-lui.

Lacey n’en eut pas l’occasion, car Naomi avait déjà un hoquet dramatique de surprise.

– Tu n’allais pas nous le dire ? cria-t-elle. Pourquoi, bon sang ?

Lacey essaya de s’expliquer, mais sa voix était noyée par celle de sa sœur. Et de toute façon, quelle réponse satisfaisante pouvait-elle vraiment donner ? Elle ne pouvait pas vraiment leur dire qu’elle avait retrouvé leur père disparu depuis longtemps et qu’elle l’avait invité au mariage !

– Depuis combien de temps nous le cachais-tu ? demanda Naomi. Elle avait l’air blessée.

Lacey se mordit la lГЁvre.

– Depuis mon anniversaire.

– C’était il y a des semaines ! s’écria Shirley d’une voix stridente.

– Oh, Lacey, dit Naomi sur un ton de reproche.

– Écoute ça, interrompit Shirley, qui semblait bel et bien monter sur ses grands chevaux. “Chère future belle-mère. Lacey et moi avons décidé que nous aimerions que le mariage ait lieu au Royaume-Uni. Mais bien sûr, si le voyage vous pose un problème, nous serions heureux de prendre d’autres dispositions. Votre futur beau-fils, Tom”. Tu y crois ? Est-ce que tu peux t’imaginer apprendre le mariage de ta fille par un SMS comme ça ?

– Horrible, dit Naomi avec un “tsss” désapprobateur. Juste horrible.

Dans n’importe quelle autre circonstance, Lacey aurait trouvé le message de Tom adorablement touchant. Mais en cet instant, sous le feu roulant de remarques de la part de sa mère et de sa sœur, elle aurait vraiment aimé qu’il ne mette pas les pieds dans le plat…

Mais en fin de compte, c’était elle qui était la seule à blâmer. C’était elle qui s’était mise dans ce pétrin. Sa famille était très émotive dans le meilleur des cas, mais elle ne pouvait pas vraiment leur reprocher leurs réactions. Elle aurait dû leur dire immédiatement.

Elle s’appuya mollement contre la porte en verre de la serre, pensant encore à la raison pour laquelle elle était restée au point mort. Son père.

Elle donna un coup de pied à une touffe d’herbe sèche qui poussait entre les dalles, alors qu’elle l’imaginait en train de lire sa lettre, puis la froisser et la jeter directement à la poubelle. Lacey donna un coup de pied assez fort à la touffe d’herbe pour qu’elle se détache de l’interstice et projette des bouts de terre séchée sur la dalle.

– Est-ce que tu sais quand tu pourrais le faire ? demanda Naomi.

Lacey marqua une pause. On aurait dit qu’elles avaient fini de la critiquer. Du moins pour l’instant.

– Pas encore, dit-elle, prudemment. Je n’ai pris aucune décision, à part celle de faire de Gina ma demoiselle d’honneur slash chef jardinier. Vous savez que l’automne est ma saison préférée, mais ça voudrait dire attendre une année entière. Le printemps serait trop tôt, l’été est déjà complet, et l’hiver est écarté pour des raisons évidentes.

Lacey attendait, espГ©rant que sa mГЁre et sa sЕ“ur en auraient peut-ГЄtre fini avec leurs remontrances et pourraient cГ©lГ©brer avec elle.

– Assurez-vous que ce soit pendant les vacances de Frankie, d’accord ? dit Naomi, avec un soupir las. Il n’est pas autorisé à louper l’école pendant le trimestre et il serait dévasté de manquer ça.

– C’est bon à savoir, répondit Lacey.

Ce n’était pas vraiment un commentaire festif, mais au moins la déception était passée. Et le coup de téléphone désagréable n’avait pas été entièrement inutile, pensa Lacey en regardant le bon côté des choses. Au moins, elle savait maintenant qu’il fallait s’organiser en fonction des vacances de Frankie. Il n’était pas question qu’elle se marie sans son coéquipier roux. En fait, peut-être que s’il était impossible que son père l’accompagne le long de l’allée, Frankie voudrait le faire. Il était techniquement l’homme de la famille.

– Est-ce que tu as dit que tu avais fait de Gina la demoiselle d’honneur ? s’éleva la voix de Naomi à l’oreille de Lacey.

– Ouais, dit Lacey, qui semblait plus décontractée maintenant qu’elle s’était autorisée à baisser un peu la garde. C’est le choix évident. C’est ma voisine, mon employée, mon amie, ma mentor, ma copine de promenade avec les chiens…

La voix de Lacey s’éteignit lorsqu’elle réalisa soudain son erreur. Naomi était censée être la demoiselle d’honneur ! Dans un mariage traditionnel, il était courant que la sœur de la mariée se voie confier un rôle vital. Lacey s’était empêtrée dans un autre faux pas.

– Mais ce n’est pas vraiment gravé dans la pierre non plus, dit Lacey en se dépêchant de se rattraper. Son rôle principal est celui de chef jardinier.

– Huh, répondit Naomi, découragée.

Le mal Г©tait dГ©jГ  fait.

Après quelques minutes de questions auxquelles elle ne put répondre, Lacey raccrocha et retourna furtivement dans le magasin, les épaules voûtées. L’appel lui avait tellement mis les nerfs à vif qu’elle avait l’impression qu’elle pourrait craquer à la moindre provocation. D’autres questions sur le mariage et elle péterait les plombs pour de bon.

Tom se tenait toujours au milieu de la pièce où elle l’avait laissé, avec le même regard de culpabilité horrifié qu’auparavant.

– Je suis vraiment désolé, dit-il immédiatement en avançant à grands pas vers elle.

– Ne le sois pas, dit Lacey en secouant la tête. Ce n’est pas ta faute. C’est la mienne.

La dernière chose dont elle avait besoin était qu’il se sente coupable d’avoir vendu la mèche. Ce qui était fait était fait. C’était mieux de passer à autre chose.

Tom tendit les bras vers elle et la serra fort. Lacey respira son odeur réconfortante avec un soupçon de beurre.

– Je ne voulais rien te compliquer, dit Tom, tout en lui déposant une série de baisers sur le sommet de sa tête. Puis-je venir au cottage ce soir pour te préparer un dîner d’excuse ?

Lacey se dégagea de son étreinte et lui lança un regard sérieux.

– Je te l’ai dit, tu n’as pas à t’excuser, dit-elle. Puis elle remua effrontément ses sourcils. Mais tu peux toujours me faire à dîner.

Tom sourit.

– N’importe quoi pour ma belle fiancée. Qu’est-ce que tu veux ?

– Quelque chose d’automnal, suggéra Lacey.

– Bien vu, dit Tom. Que dirais-tu d’une soupe à la tomate rôtie ?

Le sourire de Lacey s’élargit.

– Ça a l’air parfait.

Juste à ce moment-là, le bruit de papiers et de livres qu’on laisse tomber retentit derrière. Lacey se retourna pour voir Finnbar debout sous l’arcade, entouré de papier. Il avait dû écouter aux portes.

Tom la libГ©ra de son Г©treinte.

– Je te laisse faire, dit-il en agitant les sourcils d’un air entendu.

Il avait beaucoup entendu parler de la maladresse de Finnbar au fil des semaines.

Il quitta le magasin et Lacey s’approcha de Finnbar. Le jeune homme avait l’air extrêmement mal à l’aise tandis qu’il s’empressait de ramasser ses papiers et ses livres éparpillés.

Lacey s’accroupit pour l’aider.

– Tu as entendu tout ça, je suppose ? demande-t-elle en rassemblant les pages de notes sur le plancher dans un raclement.

– Oui, dit-il gauchement. Est-ce que tout va bien ?

Il avait l’air anxieux. Étant donné que l’incident n’avait rien à voir avec lui, son inquiétude semblait exagérée.

– Entre moi et Tom ? dit Lacey. Oui, tout va bien.

– Ça ressemblait à une dispute, répondit Finnbar.

– Pas vraiment, dit Lacey. Il n’y a pas de raison que je sois en colère. C’était une confusion honnête.

– Je voulais dire l’inverse, dit Finnbar. Tom n’est pas fâché contre toi ?

Sa question perturba Lacey. Tom était celui qui avait eu tort en le disant à sa famille avant qu’elle ne soit prête. Pourquoi serait-il celui qui était en colère ?

– Que veux-tu dire ? demanda-t-elle.

Finnbar remonta ses lunettes sur son nez.

– Eh bien, c’est juste que si j’étais lui, je serais vraiment blessé que tu n’aies pas parlé des fiançailles à ta famille.

Il remit en tas le reste de ses papiers dans ses bras et dГ©tala.

Lacey se redressa tout en rГ©flГ©chissant aux paroles de Finnbar.

Que pensait vraiment Tom du fait qu’elle ait caché la nouvelle à sa famille ? Était-il contrarié et le cachait-il ? Était-il possible qu’elle n’ait même pas eu conscience qu’elle avait blessé son partenaire ?

Elle devrait en discuter avec lui plus tard dans la soirГ©e.




CHAPITRE QUATRE


Ce soir-lГ , Tom arriva sur le seuil de Crag Cottage avec dans les mains un carton rempli de lГ©gumes.

– Qu’est-il arrivé à la soupe à la tomate ? demanda Lacey en prenant une courgette et en l’agitant.

– Changement de plan, dit Tom. J’ai eu tous ces produits pour pas cher parce qu’ils sont difformes. Je me suis dit que j’allais faire une Cassolette de Courgettes Biscornues pour le dîner, si ça te va ?

– Bien sûr que oui ! dit Lacey en riant de son joli nom de plat et de son utilisation du terme français courgette au lieu de zucchini.

Tom entra d’un air affairé avec son carton, négociant son chemin le long du parcours du combattant que Chester créait en se faufilant avec excitation entre ses jambes. Une fois arrivé dans la cuisine sans trébucher, il posa le carton sur le comptoir.

– Quel vin se marie bien avec les courgettes ? demanda Lacey en se dirigeant vers le réfrigérateur à vin.

Tom était un gourmet. Bien qu’il ait consacré sa vie à la pâtisserie, sa connaissance de la nourriture et du vin était assez étendue.

– Un sauvignon blanc, dit Tom en commençant à poser des légumes sur le plan de travail. Ou, à défaut, un pinot.

– Un sauvignon néo-zélandais, c’est bon ? appela Lacey alors qu’elle tirait une bouteille réfrigérée du casier métallique et en examinait l’étiquette.

– Parfait, répondit Tom.

Lacey ramena la bouteille fraîche sur le comptoir et l’ouvrit avec un tire-bouchon. Puis elle leur versa un verre et en tendit un à Tom.

– Voilà, mon fiancé, dit-elle.

Tom posa son hachoir.

– Merci, ma fiancée, dit-il.

Ils avaient pris l’habitude de s’appeler par ce petit nom. Auparavant, ils ne s’étaient pas arrêtés sur un seul surnom, oscillant entre chérie et mon amour, mais dès que Lacey avait eu la bague au doigt, ils s’étaient automatiquement mis à s’appeler “fiancé(e)”.

Tom trinqua avec Lacey.

– Un toast en ton honneur, dit-il. Pour avoir survécu à une conversation téléphonique extrêmement gênante avec ta famille, qui était entièrement de ma faute.

Lacey gloussa.

– À moi, répéta-t-elle.

Elle prit une gorgée de vin, et s’appuya contre le plan de travail tandis que Tom commençait à couper. Pendant qu’elle le regardait, ses ruminations sur la question de Finnbar, plus tôt dans la journée, lui revinrent. Elle se mordilla la lèvre avec appréhension.

– Es-tu contrarié que je n’aie pas parlé des fiançailles à ma famille ? lui demanda-t-elle.

Tom ne leva mГЄme pas les yeux de ses courgettes.

– Pas du tout, dit-il.

– Alors ça ne t’a pas fait de peine de découvrir que je ne leur avais rien dit ? insista Lacey.

– Pourquoi serait-ce le cas ? répondit Tom.

Il avait l’air de n’écouter qu’à moitié. Ce qui se comprenait. Être multitâche n’était pas vraiment le point fort de Tom.

Lacey essaya une approche diffГ©rente.

– Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu as découvert que je ne leur avais pas encore dit ?

Tom ne ralentit mГЄme pas le rythme auquel il hachait, qui Г©tait exceptionnellement rapide.

– Coupable. Pour leur avoir accidentellement dit alors que tu n’étais manifestement pas prête.

Lacey prit une autre gorgée de vin. Elle n’y croyait pas vraiment, et pas seulement parce que Tom ne lui accordait manifestement que 50% de son attention. Il pouvait maintenir jusqu’à la fin des temps que ça ne l’ennuyait pas, Lacey aurait toujours un léger doute.

– Tu l’as tout de suite dit à Heidi ? demanda-t-elle.

Lacey n’avait rencontré la mère avocate de Tom qu’à quelques reprises, et la première fois alors qu’elle se trouvait au poste de police de Wilfordshire, après avoir été arrêtée et injustement accusée de meurtre. Depuis lors, Lacey avait l’impression de rattraper son retard pour que sa future belle-mère l’apprécie.

– Je lui ai dit le lendemain, dit Tom. Et puis j’ai appelé Norah et je lui ai dit plus tard dans la soirée.

Lacey fronça les sourcils. Qui était Norah ? Elle n’avait jamais entendu ce nom auparavant et hésitait à le demander.

– Qui est Norah ? dit-elle finalement.

– Ma sœur, dit Tom, simplement.

Lacey recracha presque son vin.

– Tu as une SŒUR ?

Son exclamation suffit pour finalement arracher l’attention de Tom à sa tâche. Il la regarda, surpris.

– Oui… dit-il en faisant traîner le mot comme si c’était une question. Ma grande sœur. Norah. Tu sais que j’ai une sœur, n’est-ce pas ?

– Non ! s’écria Lacey.

Elle était complètement abasourdie. Lui avait-il dit et avait-elle oublié ? Sûrement pas ! Elle n’aurait sûrement pas oublié quelque chose d’aussi important qu’une sœur ? D’autant plus qu’elle était toujours confrontée aux histoires de sa propre sœur. Si elle avait su quelque chose à ce sujet, ils auraient pu se rapprocher grâce à cela.

– Eh bien, nous ne sommes pas vraiment proches, dit Tom avec désinvolture, comme si cela pouvait être une explication un tant soit peu adéquate pour le manque flagrant de connaissances de Lacey. Je veux dire, techniquement, elle n’est pas du tout ma sœur en fait. Nous ne partageons même pas de gènes.

– Comment ça, vous ne partagez pas de jeans ? demanda Lacey. Quel est le rapport avec tout ça ? Ce serait super bizarre si vous en partagiez, pour être honnête. Les jeans des femmes sont coupés de façon complètement différente et…

Tom l’interrompit avec un aboiement de rire.

– GÈNES ! s’écria-t-il. G-È-N-E-S.

– Oh.

Lacey se sentait stupide. Ses joues devinrent brГ»lantes. Mais quand elle rГ©alisa ce que Tom Г©tait en fait en train de dire, sa gГЄne fit place Г  une confusion totale.

– Attends une seconde, dit-elle, en quête d’éclaircissements. Vous ne partagez pas de gènes ? Donc vous n’êtes pas vraiment parents ?

Elle n’arrivait pas à gérer le va-et-vient, de haut en bas, de bas en haut, de ce méli-mélo. Elle aurait beaucoup aimé descendre de cet ascenseur émotionnel dans lequel la révélation choquante de Tom l’avait forcée à monter.

Tom avait l’air de vouloir résoudre un problème mathématique très délicat.

– Elle est ma demi-sœur, dit-il avec considération, comme si c’était la première fois qu’il essayait de donner un sens à tout cela. En quelque sorte. Elle est issue du précédent mariage de mon père, c’est la fille de sa première femme, sa belle-fille. Ce qui ferait techniquement d’elle ma demi-sœur, seulement mon père et sa mère ont divorcé avant ma naissance. Elle est donc un peu comme mon ex-demi-sœur. OU… elle n’a jamais été ma demi-sœur ?

Lacey cligna des yeux. L’histoire de la famille de Tom était pour le moins déroutante. Mais le vrai problème était le fait que Lacey en sache si peu.

– Tu connais un autre terme pour une demi-sœur qui n’a jamais existé ? dit-elle.

– Non ? Quoi ? répondit Tom.

– Rien, dit Lacey en haussant les épaules. Tu l’appelles juste Norah, et je n’ai pas de crise cardiaque.

Tom rit, même si Lacey ne plaisantait qu’à moitié.

– Mais ce ne serait pas juste non plus, expliqua-t-il. Norah a vécu avec mon père et sa première femme pendant la plus grande partie de son enfance. Il était en fait un second père pour elle, et ils sont restés proches même après le divorce. Je me souviens qu’elle m’appelait son frère quand j’étais plus jeune, mais je suppose qu’après la mort de mon père, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre. Il y a une grande différence d’âge entre nous, donc ça devait forcément arriver. Il baissa la voix et chuchota en aparté comme s’il révélait quelque chose de scandaleux. Elle n’a que deux ans de moins que ma mère.

Et sur ce, il se remit allГЁgrement Г  couper ses courgettes.

Lacey se tenait là, complètement hébétée. Elle n’était au courant de précisément rien de tout cela. Tom n’était pas vraiment réservé au sujet de sa famille (bien qu’il ait du mal à parler de son père, qui était décédé quand il était jeune), et pourtant Lacey ignorait tout du fait qu’Heidi était la deuxième femme du père de Tom, et elle ne savait certainement rien de Norah, sa demi-sœur en-quelque-sorte-mais-pas-vraiment ! Aussi distante que soit la relation entre Tom et Norah, elle aurait certainement été abordée au moins une fois au cours de leur relation.

– Tu ne m’as jamais rien dit de tout ça avant, murmura Lacey. Elle se sentait inquiète.

Tom haussa juste les Г©paules.

– Oh, eh bien maintenant tu sais.

Il Г©tait typiquement dГ©sinvolte.

– Pas �oh, eh bien’, répliqua Lacey. Pourquoi est-ce que tu n’as jamais parlé de Norah avant ? Ou du premier mariage de ton père ? Pourquoi est-ce que je ne l’apprends que maintenant ?

Tom s’interrompit en plein geste. Il se tourna vers elle, ses sourcils marrons froncés dans un air interrogateur.

– Tu es stressée, n’est-ce pas ? dit-il en saisissant enfin son état émotionnel. Pourquoi cela t’inquiète-t-il autant ?

Lacey secoua la tête. Elle ne le comprenait pas complètement elle-même. Mais elle avait une vague idée…

– J’ai écrit une lettre à mon père, dit-elle.

Plusieurs secondes de silence passГЁrent.

Finalement, Tom Г©carquilla les yeux. Il posa maladroitement son couteau.

– Vraiment ? s’exclama-t-il. Tu as trouvé une adresse ?

Lacey acquiesça. Son cœur battait comme un marteau-piqueur.

– J’ai rencontré quelqu’un à la maison de vente aux enchères Sawyer & Sons qui le connaissait. Il avait une adresse. Il vit à Rye, dans le Sussex.

Alors que tout se mettait à sortir, Lacey sentit qu’un poids énorme lui était ôté des épaules. Elle n’avait pas réalisé à quel point son secret pesait sur elle. Elle se sentait idiote de l’avoir caché au départ.

– Lacey, c’est incroyable ! s’exclama Tom. On devrait y aller. Ensemble.

– Quoi ? dit Lacey, stupéfaite. Non. On ne peut pas faire ça.

– Pourquoi pas ? insista Tom. Tu sais enfin où vit ton père ! Après toutes ces recherches. Tu ne veux pas aller le voir ?

Lacey rechignait.

– Bien sûr, marmonna-t-elle. Son regard se posa sur le pied de son verre de vin qu’elle avait commencé à faire tourner nerveusement entre ses doigts. Mais il n’a pas répondu à ma lettre. Alors je ne sais pas s’il… tu sais… Sa voix tomba encore plus bas. … s’il veut me voir.

– Ah, dit Tom en devenant immédiatement sérieux.

Il la prit dans ses bras. Lacey accepta ce rГ©confort.

– Voilà une idée, dit-il. Pourquoi n’irions-nous pas ensemble ? Si on en faisait un week-end ?

– Pas question, dit Lacey en secouant la tête contre son torse. Ça m’a pris des semaines rien que pour lui écrire une lettre. Je ne suis pas vraiment prête à frapper à sa porte.

Tom la libГ©ra de son Г©treinte.

– Et si on regardait sa maison de loin ?

– Non, dit plus fermement Lacey. Je suis désolée, Tom, mais je ne suis pas prête.

– Visiter la ville ? suggéra Tom. Le comté ?

Il s’éloignait de plus en plus et Lacey ne pouvait s’empêcher d’être touchée par ses efforts pour l’encourager, même s’il était un peu insistant à ce sujet.

– Je visiterai le comté, dit Lacey en cédant enfin. Je me sens assez à l’aise pour me rapprocher jusque-là. Pour l’instant.

Tom tapa triomphalement dans ses mains.

– Excellent ! Cela fait longtemps que nous aurions dû faire un voyage et il y a des tonnes de superbes villes balnéaires le long de la côte du Sussex. Et cette fois, ce sera juste nous deux, sans ta famille !

Il remua les sourcils en rГ©fГ©rence Г  sa derniГЁre transgression.

Lacey gloussa.

– Tu en parles comme si ça allait se faire, dit-elle.

– Parce que ça va se faire, lui répondit Tom.

Lacey secoua la tГЄte.

– On ne peut pas partir en voyage. On n’a pas de temps libre. On a tous les deux des tonnes de travail à faire, avec Halloween qui approche.

– Tu as raison, dit Tom. Puis il lui fit un sourire malicieux. À moins qu’on y aille demain ?

Maintenant, il dГ©liraitВ ! Ils ne pouvaient pas prendre la route spontanГ©ment. Ils avaient des commerces Г  faire tourner. Des employГ©s Г  gГ©rer. En plus, la derniГЁre fois que Lacey avait fait quelque chose de spontanГ©, elle avait fini par quitter son travail et dГ©mГ©nager dans un autre paysВ !

– On ne peut pas partir demain, dit Lacey en secouant la tête.

Mais Tom ne cГ©dait pas.

– Pourquoi pas ? Il suffit que nous préparions un sac et que nous prenions la route ! Explorons la côte du Sussex pendant quelques jours. J’ai Emmanuel à la pâtisserie et tu as Finnbar et Gina au magasin, il n’y a vraiment aucune raison de ne pas le faire.

Lacey hésitait. Peut-être que Tom avait raison. Ce week-end était leur dernière chance de s’échapper avant qu’ils ne soient à nouveau super occupés à préparer Halloween. Si elle ne le faisait pas maintenant, alors quand ?

– OK, lâcha-t-elle en se surprenant elle-même. Allons-y.

– Vraiment ? s’exclama Tom. Son sourire s’élargit jusqu’à être ce magnifique sourire éclatant qui avait fait tourner la tête de Lacey quelques mois auparavant.

– Oui. Vraiment, dit-elle. Faisons nos sacs et partons. Pourquoi pas ? L’excitation pétillait dans ses veines. Quel est le pire qui puisse arriver ?




CHAPITRE CINQ


– Voici le numéro de la société de sécurité, dit Lacey à Finnbar en montrant du doigt le tableau d’affichage dans son bureau. Il était recouvert de plusieurs couches superposées de post-its colorés. Si l’alarme se déclenche accidentellement, tu dois les appeler dans les trente secondes et leur donner ce code. Elle tapa sur le post-it rose. Sinon, ils vont penser que tu es un cambrioleur et je devrai payer des frais pour qu’ils réinitialisent le système. Compris ?

Finnbar leva les yeux de son carnet de notes.

– Compris.

C’était le matin après que Tom ait eu l’idée de partir spontanément en voiture et l’humeur de Lacey était passée d’une excitation grisante à une nervosité extrême à l’idée de laisser son magasin entre les mains de Gina l’écervelée et de Finnbar le maladroit. Heureusement, il n’avait pas fallu grand-chose pour convaincre Tom d’accepter de s’arrêter dans leurs magasins respectifs avant qu’ils ne prennent le large ; il savait qu’elle serait anxieuse tout le week-end sinon.

– Je pense que c’est tout, dit Lacey à Finnbar. À moins que tu ne penses à autre chose ? Tu sais que tu dois garder les reçus de la petite caisse ? Et que la combinaison du coffre-fort est à côté de la caisse ? Et tu sais où sont conservées les dosettes de café… ?

Elle se faisait du mauvais sang maintenant, elle le savait. Mais laisser le magasin était difficile pour Lacey. Elle imaginait que c’était un peu comme quand une mère quitte son nouveau-né pour la première fois.

Finnbar ferma son carnet de notes. Il en avait assez pour écrire toute une thèse sur la façon de gérer le magasin.

– Nous avons tout passé en revue, dit-il d’un signe de tête définitif.

Lacey se mordillait la lèvre avec appréhension lorsqu’ils sortirent par la porte du bureau. Elle n’était pas convaincue.

– Si tu as des questions, tu peux toujours les poser à Gina, lui dit-elle en poursuivant ses explications anxieuses. Et si tu as des questions sur Gina, appelle-moi.

Finnbar sourit.

– J’ai compris.

Ils entrèrent dans le magasin. Gina les regarda, les yeux plissés d’un air suspicieux. Elle avait clairement fait savoir qu’elle était opposée au voyage impromptu de Lacey, non pas parce qu’elle ne voulait pas que son amie s’offre l’escapade romantique qu’elle méritait, mais parce qu’elle n’était pas convaincue par le travail de Finnbar au magasin en général.

Alors que Finnbar se dirigeait vers les Г©tagГЁres pour dГ©poussiГ©rer les poteries, Gina se faufila vers Lacey.

– Tu lui as donné le code d’accès ? dit-elle entre ses dents.

– Oui.

– Tu es sûre que c’est une bonne idée ?

– Pourquoi ça ne le serait pas ? répondit Lacey.

– Parce qu’il pourrait en faire quelque chose, chuchota Gina.

– Comme quoi ? la contesta Lacey. La seule chose qu’il peut faire, c’est m’éviter une amende si l’alarme se déclenche accidentellement.

– Il pourrait être un cambrioleur, dit Gina d’un air conspirateur.

– Il joue sur le long terme s’il en est un, répondit Lacey. Et lui donner le code d’accès au système de sécurité ne l’empêchera pas de nous cambrioler si c’est ce qu’il veut faire. Il a un jeu de clefs.

– Il en a un ? s’exclama Gina. Depuis quand ?

– Depuis la semaine dernière, dit Lacey. Elle secoua la tête. La paranoïa de Gina ne faisait que la rendre plus appréhensive. Tu devrais être contente. Ça veut dire que quand je ne suis pas là, quelqu’un d’autre peut fermer. Tu sais à quel point tu détestes le faire.

– Seulement parce que je déteste la responsabilité de savoir que si quelque chose va mal, en dernier ressort c’est à moi de rendre des comptes. Le fait qu’il le fasse ne rend pas les choses plus faciles, hein ? C’est toujours moi qui suis son supérieur hiérarchique. Je vais probablement finir par venir ici au milieu de la nuit pour vérifier toutes les serrures maintenant.

– Alors ça te donnera l’occasion d’arroser le jardin au clair de lune, comme tu adores le faire.

– Lacey, dit Gina avec un froncement de sourcils.

– Gina, dit Lacey avec fermeté. S’il te plaît, arrête. Je suis déjà assez inquiète à l’idée de laisser le magasin. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est que tu me stresses encore plus.

– D’accord, d’accord, dit Gina, qui finit par céder. Tu mérites de te détendre.

– Merci, dit Lacey.

À ce moment, un énorme fracas retentit. Les deux femmes levèrent les yeux. Finnbar se tenait debout, son plumeau suspendu dans les airs et des tessons de porcelaine à ses pieds. Il avait fait tomber un vase de l’étagère.

– Je suis vraiment désolé, s’exclama-t-il.

Gina donna une claque de la main sur l’épaule de Lacey.

– Tu vois ! On gère la situation ici, plaisanta-t-elle.

Lacey avait les nerfs à vif. Elle avait le sentiment qu’elle allait revenir pour découvrir une catastrophe.


*

Lacey ressentait un mélange d’excitation et de culpabilité lorsqu’elle quitta son magasin et se dirigea vers l’angle de la rue. Elle était excitée car cela faisait longtemps qu’ils devaient refaire un voyage après le désastre de Douvres, mais coupable d’avoir laissé son magasin dans un délai aussi court.

Elle se rendit à l’endroit où la camionnette de Tom était garée, au coin de la rue. Ils avaient décidé qu’il serait plus confortable de voyager dans son van que dans la voiture d’occasion peu fiable de Lacey, d’autant plus que cela donnait à Chester beaucoup d’espace pour s’étaler sur la banquette arrière.

Lacey sauta à l’intérieur et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule à son fidèle compagnon. Il faisait déjà la sieste, coincé à côté de deux grandes boîtes en carton.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Lacey à Tom.

Lorsqu’ils avaient fait leurs bagages ce matin, ils n’avaient qu’un sac de vêtements chacun et un sac à dos pour les éventuelles randonnées. Maintenant, la banquette arrière donnait l’impression qu’ils allaient traverser plusieurs états.

CГґtГ© conducteur, Tom se tourna vers elle et sourit.

– Pendant que tu étais dans ton magasin, je suis allé dans le mien et j’ai récupéré quelques affaires dans la réserve.

Il l’avait dit assez innocemment, mais Lacey plissa les yeux avec scepticisme. Tom avait un côté aventureux que Lacey ne partageait pas. S’il y avait une tente là derrière, elle ferait tout aussi bien de sortir maintenant et de retourner au travail. Il n’était pas question que ce voyage romantique spontané se transforme en camping.

– Quels trucs ? demanda-t-elle d’un air soupçonneux.

– Juste des trucs, répondit encore Tom, évasif.

– Tom… l’avertit Lacey.

– C’est un canot pneumatique, dit-il. Et une paire de paddleboard.

Lacey souffla. Elle secoua la tГЄte.

– Tu sais que je ne vais pas les utiliser. Ils prennent juste de la place.

– Ils sont là au cas où le cœur t’en dise, dit Tom avec un sourire effronté.

– Bien sûr, répondit Lacey d’un ton sec. Ce week-end, sur quarante ans de week-ends, sera celui où l’envie me prendra soudainement de pratiquer des sports nautiques.

Tom se mit Г  rire.

– On ne sait jamais.

Il tourna la clef dans le contact et la camionnette se mit à vrombir. Lacey sentit une vague d’émotion la traverser. Elle était excitée à l’idée de s’éloigner de tout cela. Mais elle était également nerveuse à l’idée de savoir qu’elle allait réduire la distance qui la séparait de son père et que, si elle le voulait, elle pourrait réduire complètement cette distance pour la première fois depuis qu’elle avait sept ans, en frappant à sa porte.

Tom s’écarta du trottoir et rejoignit le flot de voitures qui quittaient Wilfordshire, en prenant la route A en direction de l’est. Le plan était de prendre la route côtière vers le Sussex, et de s’arrêter dans n’importe quelle ville dont l’apparence leur plaisait. Lacey voulait voir Brighton, une ville côtière à la mode pleine d’architecture Régence, Édouardienne et Art déco. Cela semblait être le genre d’endroit qu’elle aimait, alors elle avait l’intention de rester bouche cousue jusqu’à ce qu’ils y arrivent.

– Tu n’as vraiment jamais pratiqué de sports nautiques ? lui demanda Tom en conduisant.

– Non, répondit Lacey. Je n’ai pas non plus fait de saut à l’élastique, de descente en rappel en montagne et je n’ai jamais sauté depuis un avion.

– Vraiment ? dit Tom, l’air surpris. J’ai fait les trois. Plus d’une fois.

– Je ne vois pas l’intérêt. Quand est-ce qu’il me sera utile dans ma vie de savoir comment, je ne sais pas, faire de l’escalade ou autre ? Elle haussa les épaules. Mais je suppose que je ne suis pas très aventureuse. Tout ce qui m’a toujours importé, c’est de réussir à l’école et d’avoir un bon travail. Voilà l’effet qu’ont deux parents fous et instables sur une fille.

Elle se tut. Elle ne voulait pas penser à son père et au fait qu’il n’avait pas répondu à sa lettre.

– J’ai une idée, dit Tom. Jouons plutôt à Tu Préfères. Je vais commencer. Tu préfères le saut à l’élastique ou le rappel, comme vous autres Américains l’appelez ?

Lacey roula des yeux.

– Ni l’un ni l’autre.

– Ce n’est pas comme ça que le jeu fonctionne, lui dit Tom. Tu dois répondre.

– Bien. Rappel. Tu préfères avoir quatre jambes ou quatre bras ?

Tom rit de bon cЕ“ur.

– Ça a pris un tournant surréaliste.

– Alors ? le poussa Lacey.

– Les bras. Pense à tous les gâteaux que je pourrais faire avec quatre bras ! Je doublerais ma production. Puis je doublerais mes revenus. Puis je t’achèterais une belle maison au bord de la mer, où on pourrait faire du paddleboard à notre guise.

Lacey regarda son beau dandy.

– Une maison au bord de la mer ? demanda-t-elle.

– Bien sûr, dit-il jovialement. Ce n’est pas le fantasme de tout le monde ?

Lacey n’avait pas réfléchi à l’endroit où ils allaient vivre après s’être mariés. Elle avait juste supposé que Tom emménagerait dans son cottage sur les falaises. Mais on aurait dit qu’il avait d’autres projets. S’il voulait qu’ils achètent une maison ensemble, devrait-elle vendre la maison de ses rêves ?

Elle l’ajouta à sa liste des inconnues. Elle semblait s’allonger assez rapidement. Elle ne savait pas si elle prendrait le nom de famille de Tom. Elle ne savait pas si elle allait porter les enfants de Tom. Et maintenant, elle ne savait même pas où elle et Tom allaient vivre.

Soudain, Lacey se souvint que Naomi avait insinué, lors de son appel téléphonique, qu’elle se lançait précipitamment dans son mariage avec Tom.

Pour la première fois, Lacey commença à envisager avec inquiétude que ce soit peut-être le cas.




CHAPITRE SIX


Brighton était une ville intéressante, avec des grilles vert menthe et une falaise rocheuse abrupte qui plongeait jusqu’à une plage couverte de galets. Malgré l’inconfort que Lacey associait à l’idée de s’asseoir sur une plage de galets, celle-ci était complètement bondée, avec des groupes de personnes assises presque côte à côte. Elle qui pensait que Bournemouth était animée…

L’architecture de Brighton était également grandiose. Des kilomètres et des kilomètres de côte étaient occupés par des rangées d’immenses maisons de ville de style Régence. C’était le genre de demeure dans lesquelles Lacey imaginait que vivaient les personnages des romans de Jane Austen. Leurs façades étaient peintes en blanc, mais la peinture s’écaillait par endroits et était salie par la pluie et la pollution. Cela donnait à Brighton l’impression d’une grandeur perdue, ce que Lacey ne pouvait s’empêcher de trouver incroyablement romantique.

Entre les maisons se trouvait une route à quatre voies pour les voitures, plus une voie de bus séparée. Puis il y avait un large trottoir avec une piste cyclable, qui était également pleine de gens en skateboard et en rollers. À côté, il y avait une large bande d’herbe remplie de promeneurs de chiens et de lanceurs de frisbee, et des rangées de cabanons de plage peints de couleurs vives séparant les pelouses de la plage de galets.

Chester reniflait par la fente de la vitre entrouverte, agitant sa queue avec excitation.

– À quel point es-tu décidé pour une maison en bord de mer ? demanda Lacey à Tom, alors qu’elle se tordait le cou pour regarder par la fenêtre. Parce que Brighton a l’air très attrayante là tout de suite.

– Attrayante, s’accorda à dire Tom. Mais très chère. Tu sais que toutes ces maisons appartiennent à des gens célèbres ? Il montra du doigt les maisons de style Régence que Lacey admirait.

– Vraiment ? demanda-t-elle. Comme qui ?

Avant que Tom n’ait une chance de donner des noms, l’attention de Lacey fut soudainement détournée vers un bâtiment ressemblant à un palais. Il ne pouvait être décrit que comme un mini Taj Mahal, avec des dômes et des minarets, et un jardin tout autour rempli d’arbres et de fleurs.

– Regarde ça ! se mit à crier Lacey avec excitation. Tom ! Regarde !

Il regarda par-dessus le volant.

– C’est le Pavillon Royal. Il a été construit par le roi George. Brighton était le lieu de retraite en bord de mer préféré de la famille royale.

– Est-ce que ça appartient toujours à royauté ?

– Non, c’est un musée et un lieu de rencontre maintenant. On peut s’y marier.

– Vraiment ? s’écria Lacey. Maintenant, cela lui donnait des idées…

– Tu veux aller voir ? dit Tom.

– Oui, s’il te plaît ! s’exclama Lacey.

Ils garèrent la camionnette dans un parking souterrain à proximité, puis retournèrent au Pavillon Royal à pied. Ils pénétrèrent dans le jardin par l’entrée arrière qui était ouverte au public. La pelouse était couverte de gens qui traînaient, et il y avait un petit café avec des tables de bistro pleines de gens qui mangeaient des sandwiches tout en chassant des mouettes. Chester fonça droit vers les oiseaux, et les fit s’envoler dans un tourbillon de plumes.

Lacey laissa libre cours à son imagination, se représentant tout cet endroit occupé par sa fête de mariage, avec elle qui, dans une robe blanche, se faisait photographier à l’extérieur du spectaculaire château.

Ils entrèrent et Lacey poussa une exclamation face au décor en technicolor déjanté. D’énormes lustres étaient suspendus au plafond, qui était un dôme peint en bleu vif. Des rideaux de velours rouge bordés de fil d’or étaient suspendus aux grandes fenêtres, assortis au tapis rouge qui traversait la pièce comme s’ils étaient à une avant-première hollywoodienne. Il y avait des statues et des armures partout.

– Le roi George avait un goût éclectique, commenta Lacey en parcourant du regard le papier peint brillant et criard et le mobilier luxueux.

Tom se mit Г  rire.

– Ça te donne des idées, n’est-ce pas ?

– Peut-être… avoua Lacey.

Ce serait totalement dépasser les bornes d’organiser leur mariage dans un tel endroit. Mais Lacey était si discrète d’habitude, peut-être son mariage devrait-il être un somptueux spectacle ?

Après avoir fait le tour du palais, Tom et Lacey décidèrent qu’il était temps de déjeuner.

– Je connais le meilleur endroit, dit Tom.

Il guida Lacey et Chester dans une rue étroite remplie de boutiques, d’échoppes et de gens marchant côte à côte. Brighton semblait compter une abondance d’endroits où manger, des cafés branchés aux restaurants de luxe. Au moins cinquante pour cent d’entre eux étaient exclusivement végétariens ou végétaliens, ce qui convenait parfaitement à Lacey pour le déjeuner ; elle avait envie de quelque chose de frais.

Tom fit monter à Lacey un escalier en bois branlant qui menait à un tout petit café de style cafétéria, avec des tables de bistro sur un balcon surplombant la rue en contrebas. C’était l’endroit idéal pour regarder les gens, pensa Lacey en prenant place.

Chester se mit en boule sous la table pendant que Lacey parcourait le menu. Tout ce qui Г©tait en vente Г©tait biologique, produit localement, et paraissait exceptionnel. Elle choisit le Autumn Nourish Bowl, qui contenait des pois chiches, du quinoa et des choux de Bruxelles grillГ©s, et Tom choisit le Harvest Bowl, avec des courges butternuts, des Г©pinards et du riz sauvage. Il monta pour commander, et revint quelques minutes plus tard avec leurs plats et deux smoothies aux couleurs vives.

– Carotte ou betterave ? demanda-t-il en posant les plats et les boissons sur la table.

– Je vais prendre la betterave, dit Lacey, souriant à la terminologie britannique de Tom.

Il lui passa la boisson rouge vif, et Lacey entama son repas.

– Mmmh, du tahini, dit-elle, alors que la saveur amère et crémeuse dansait sur sa langue.

Tom semblait aussi apprécier sa nourriture. Ses yeux verts étaient fixés sur le bol, ses cheveux couleur miel tombant sur son visage. Ils devenaient trop longs, nota Lacey. Ils avaient besoin d’être coupés.

– Comment as-tu connu cet endroit ? demanda Lacey en avalant une délicieuse bouchée de quinoa aux herbes et au citron. Je n’aurais jamais pensé à monter cet escalier en bois en particulier !

– Ça fait des années que c’est ici, lui dit Tom.

– Tu es venu souvent à Brighton ?

– Norah est allée à l’université ici. Papa m’emmenait parfois en excursion pour lui rendre visite. Surtout l’été.

– Oh, dit Lacey.

Le commentaire la prit au dépourvu. Ce n’était pas vraiment un gros truc, mais Tom avait omis de mentionner qu’il avait un lien personnel avec Brighton au cours de leur trajet. Et ce n’était pas qu’il était délibérément évasif. C’est juste qu’il ne semblait jamais se sentir obligé de lui faire spontanément part de certaines choses. À moins d’y être incité, Tom ne lui aurait probablement jamais rien dit de son passé.

Lacey essayait de ne pas laisser cela l’inquiéter.

Après leur repas, ils firent une longue promenade sur la plage de galets. Chester courait, se faufilant parmi les groupes de personnes pour patauger dans l’océan. Les vagues étaient beaucoup plus fortes à Brighton qu’à Wilfordshire, et il ne cessait de leur aboyer, comme s’il était frustré par leur imprévisibilité.

Tom et Lacey marchaient main dans la main entre les deux jetées de Brighton, dos à celle qui était pleine de manèges et de casinos, et s’approchaient de l’autre, qui était une relique brûlée tombant à moitié dans la mer.

– Tom, j’aime vraiment cet endroit, dit Lacey.

– Je peux le voir, dit Tom. Tu as été radieuse toute la journée.

Lacey marqua un temps d’arrêt. Ce n’était pas tout à fait vrai. Peut-être qu’à l’extérieur, elle semblait calme et heureuse, mais à l’intérieur, elle était très inquiète et focalisée sur son père.

Elle était dans le même comté que lui. Jamais elle n’avait été autant à proximité de lui depuis des décennies, du moins à sa connaissance. Elle connaissait son adresse. Si elle le voulait, elle pouvait se rendre chez lui demain et frapper à sa porte.

Et si Lacey savait que ce serait pour le mieux si elle le faisait, elle se connaissait aussi trop bien. Lorsqu’il s’agissait de son père depuis longtemps disparu, elle était une lâche. Elle ferait atrocement durer cette situation regrettable, tout comme elle l’avait fait pour envoyer cette lettre.

Elle n’était tout simplement pas prête. Elle n’avait pas les tripes pour ça. Elle ne pourrait pas supporter qu’il la rejette une seconde fois. S’il avait répondu à sa lettre, ce serait différent. Mais cela faisait des semaines qu’elle lui avait écrit, et chaque jour qui passait lui donnait l’impression d’être rejetée une nouvelle fois par lui. C’était trop. Elle ne pouvait tout simplement pas le faire.

– Nous devrions probablement penser à trouver une auberge, dit Lacey, son enthousiasme pour la plage ayant soudainement disparu.

– Tout ce que tu veux, ma chère, dit Tom, sans pour autant déceler son malaise croissant.

Ils retournèrent sur la route jusqu’à ce qu’ils trouvent une auberge avec un panneau à la fenêtre disant qu’elle acceptait les chiens. Elle était peinte dans la même couleur vert pâle que tous les lampadaires et les balustrades, et un drapeau arc-en-ciel flottait au-dessus de la porte.

Ils entrèrent. L’endroit tout entier était décoré comme un sanctuaire pour chats. Un félin blanc pelucheux était couché sur le bureau et dormait.

– Bonsoir ! s’exclama un extravagant monsieur âgé à la réception. Ses cheveux blancs étaient coiffés dans un style rockabilly, et il portait une cravate à motifs.

Son excentricité amicale mit Lacey immédiatement à l’aise.

– Nous aimerions une chambre pour deux, dit-elle.

Chester s’approcha du comptoir et renifla le chat endormi. Celui-ci ouvrit un seul œil avant de se rendormir avec contentement.

– Une chambre pour deux humains et un chien, dit l’homme en tapant dans un ordinateur. Oui, nous pouvons tous vous accueillir. Allez-vous rester pour le petit-déjeuner ? Nous faisons le continental et le frit.

– Frit, dirent Lacey et Tom en même temps.

Ils rirent.

L’homme leur tendit la clef de leur chambre et un petit livret.

– La réception est ouverte toute la nuit. Si vous avez un petit creux et êtes tentés par un toast au fromage ou un verre de mojito, tous vos souhaits peuvent être exaucés.

– Merci beaucoup, dit Lacey, absolument ravie du talent de mise en scène de l’homme. Comment on fait ça ?

– Il suffit d’appuyer sur 1 sur votre téléphone et de demander David, dit-il.

En entendant son nom, Lacey chancela immédiatement. Elle avait oublié de parler à son ex-mari de ses futures noces. Mais maintenant que sa mère le savait, il ne tarderait pas à l’apprendre lui aussi.

Il devrait attendre. Pour l’instant, Lacey voulait s’accrocher à son bonheur et profiter de son séjour dans la ville pleine de vie de Brighton.

Car après cela, pensa Lacey en frissonnant, le moment où elle confronterait son père après toutes ces années ne ferait qu’approcher.




CHAPITRE SEPT


– Je suis repue, annonça Lacey, en posant son couteau et sa fourchette dans son assiette de petit-déjeuner vide.

Tom et Lacey venaient de partager un merveilleux petit-déjeuner anglais complet frit à leur auberge, composé d’œufs, de toasts, de haricots, de tomates, de saucisses, de champignons et de pommes de terre rissolées. Bien que Lacey ne l’ait pas dit à voix haute, il était presque aussi bon que les petits-déjeuners frits de Tom. Presque…

– Où allons-nous aujourd’hui ? demanda Tom.

Lacey voulait secrètement rester à Brighton, mais elle avait accepté d’explorer le Sussex.

– J’adorerais aller voir Hastings, dit-elle. Sur Internet, les gens ont l’air de vraiment aimer ça.

Tom termina son cafГ©.

– Alors ce sera Hastings. Tu es prête à partir ?

Lacey hocha la tГЄte.

Leurs sacs étaient déjà faits, il ne restait plus qu’à payer. L’exubérant David leur fit ses adieux, et ils quittèrent l’auberge avec Chester trottinant avec eux.

Il avait dû pleuvoir toute la nuit, car les rues étaient détrempées et des gouttes de rosée s’accrochaient aux feuillages. Ils remontèrent dans la camionnette et reprirent la route, en prenant soin d’éviter les grandes flaques d’eau causées par le débordement du système de collecte des eaux pluviales.

Au bout d’un moment, Tom les éloigna de l’océan.

– Je pensais que nous allions à Hastings, dit Lacey.

– J’ai une meilleure idée, répondit Tom.

Lacey croisa les bras.

– Qui est… ?

– Les Sussex Downs. C’est un parc national. Un endroit d’une beauté naturelle exceptionnelle, avec une forêt de quatre cents ans. Le genre d’endroit où tes auteurs de romans d’amour ont passé tout l’été à s’amuser.

Lacey gloussa.

– Mais tu sais qu’on ne peut pas faire de paddleboard à la campagne, plaisanta-t-elle.

Tom emprunta des routes étroites remontant le long des collines et vallées verdoyantes et ondulantes. Grâce à la pluie de la veille, la végétation semblait extrêmement luxuriante, et tandis qu’ils s’enfonçaient de plus en plus loin dans les collines, Lacey s’émerveilla devant les bois remplis de châtaigniers, de frênes, de hêtres et de chênes à l’air ancien.

– C’est magnifique, dit-elle tout en posant son regard en bas de la vallée sur les champs remplis de moutons et de vaches.

Tom avait raison. Jane Austen aurait gambadé à sa guise dans ces collines. C’était tout à fait charmant.

– Et si nous cherchions une balade ? demanda Lacey à Tom. Je suis sûre que Chester aimerait se dégourdir les pattes.

Son compagnon canin était assis bien droit sur le siège arrière de la camionnette, et observait attentivement la campagne. Étant un Border Collie, c’était exactement l’environnement pour lequel il avait été élevé. Ils se trouvaient fondamentalement dans sa maison ancestrale. C’était profondément ancré dans son ADN.

– Je suis presque sûr que les éleveurs de moutons auraient un mot à dire si nous laissions Chester en liberté dans leurs champs, dit Tom. Et je sais que l’intérieur de mon van préférerait ne pas être couvert de boue. Ou sentir l’odeur de chien mouillé.

– Bien vu. Lacey revérifia son application de randonnée. On dirait qu’il y a une ville juste en bas de la colline avec un pub. Tu veux aller là à la place ?

Elle savait Г  quel point son fiancГ© gourmand aimait goГ»ter la biГЁre des pubs locaux.

– Ça a l’air super, dit-il.

Ils descendirent la colline jusqu’à la ville.

C’était un endroit magnifique, avec de l’architecture médiévale, des maisons à colombages tordues et des ruelles pavées pentues. En fait, la ville pittoresque rappelait beaucoup Wilfordshire si on troquait l’océan pour les collines et si on remontait le temps de quelques centaines d’années. Il y avait même d’anciennes ruines de vieux bâtiments en pierre en train de s’effondrer et envahis par les herbes.

– Wahou, cet endroit est magnifique, dit Lacey. Comment ça s’appelle ?

Mais à peine l’avait-elle dit qu’un panneau sur le bas-côté herbeux apparut. Sur un fond marron, en écriture blanche, étaient écrits les mots : Bienvenue à Rye.

InstantanГ©ment, Lacey eut le souffle coupГ©.

– Rye ? s’exclama-t-elle.

C’était là que vivait son père !

Elle regarda Tom, stupГ©faite.

– Comment est-ce que…

Puis elle remarqua le regard complice de Tom. Ce n’était pas un accident. Il l’avait conduite ici exprès. Il avait tout organisé pour qu’elle vienne ici.

– Surprise, dit-il prudemment.

Le cœur de Lacey battait si fort qu’elle avait l’impression qu’il allait bondir de sa poitrine. Elle ne savait pas quoi dire, quoi penser. Tom voulait bien faire, bien sûr, mais ce fut un choc pour elle, comme s’il l’avait poussée d’un plongeoir dans l’eau glacée.

– Je sais que tu as dit que tu n’étais pas certaine de vouloir venir ici, dit prudemment Tom. Mais je sais aussi ce que cela signifierait pour toi d’avoir ton père à notre mariage.

Il mit le clignotant et tourna sur une route. Mermaid Street.

Lacey cria. Tom ne l’emmenait pas seulement dans Rye, il la conduisait chez son père !

– Tom ? demanda-t-elle. Sa panique s’amplifiait. Comment as-tu…

– Comment ai-je eu l’adresse ? devina-t-il. Tu as laissé ton bloc-notes près du téléphone avec l’adresse dessus.

Elle se sentit prise au dГ©pourvu. Elle pouvait Г  peine y voir clair.

Tom fit ralentir la camionnette jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant un cottage. Il la regarda.

– Lacey, c’est la maison de ton père.


*

Lacey regarda le petit cottage par la vitre côté passager. Il était discret et rappelait Crag Cottage. Toutes les réponses aux questions auxquelles elle avait passé sa vie à chercher à répondre se trouvaient-elles à l’intérieur ?

– Lacey, dit la voix douce de Tom. Que veux-tu faire ?

Lacey hésitait. Elle avait les jambes en coton. Elle n’était même pas sûre de pouvoir aller frapper à la porte, et encore moins de pouvoir faire face à ce qui se passerait quand on lui ouvrirait.

À ce moment-là, Chester se faufila dans l’espace entre les sièges et s’assit sur ses genoux. Il lui donna un coup de museau en gémissant doucement. Lacey savait ce qu’il essayait de lui dire. C’était maintenant ou jamais.

– Je vais frapper, dit résolument Lacey, annonçant ses intentions.

Elle ouvrit la porte de la camionnette et descendit d’un bond, surprise de sentir ses jambes fermes sous elle. Un sentiment de détermination lui vint de nulle part.

Lacey remonta lentement le chemin du jardin, en enregistrant chaque détail avec une précision extrême. Des arbustes et des fougères à hauteur de chevilles qui parsemaient la pelouse négligée, jusqu’à l’arche en bois sous forme d’appentis qui encadrait la porte d’entrée. À l’intérieur de l’appentis, il y avait une paire de chaussures de randonnée pour hommes boueuses sur le paillasson, et la sculpture délavée d’un nain de jardin tenant une canne à pêche. Lacey pouvait voir chaque petit détail en technicolor. Tous les petits signes d’une vie suivant son cours. Elle avait l’impression que les manques dans son esprit concernant son père étaient en train d’être comblés.

La porte d’entrée était en bois, peinte d’un bleu brillant et écaillé par endroits. Un volet de boîte aux lettres argenté et rouillé. Un heurtoir de porte dans un état similaire. Le cottage était pour le moins rustique.

Lacey prit une grande respiration. Puis elle frappa.

Au début, tout était silencieux. Puis Lacey entendit un bruit venant de l’intérieur. Quelqu’un était là.

L’appréhension asséchait sa bouche.

Dans un clic, un grattement et grincement, la porte s’ouvrit. Un homme se tenait devant Lacey.

Il Г©tait chauve. RidГ©.

Et ce n’était pas son père.

Tout l’air sortit des poumons de Lacey d’un seul coup. Ses mains se mirent à trembler. Ce n’était pas lui. Ce n’était pas son père.

L’homme était environ trop petit de trente centimètres, une décennie trop vieux, et avait les yeux de la mauvaise couleur.

– Puis-je vous aider, jeune fille ? demanda-t-il avec un fort accent britannique.

Lacey tituba. La surprise l’avait laissée hébétée.

– Je suis désolée, je crois que je me suis trompée d’adresse, marmonna-t-elle. Je pensais que quelqu’un d’autre vivait ici.

Elle se retourna pour partir.

– Vous devez chercher Frank, lui dit l’homme.

Lacey se figea. Son cЕ“ur se mit Г  battre contre son sternum comme un marteau-piqueur.

Elle se retourna et regarda l’étranger.

– C’est ça, dit-elle, essayant de la jouer désinvolte. Vous le connaissez ?

– C’était le locataire précédent, lui dit l’homme.

Le locataire précédent ? répéta Lacey dans sa tête. Son père avait déménagé. Elle l’avait manqué.

– Savez-vous où il a déménagé ? demanda-t-elle, soudain désespérée.

– Non, désolé, je ne sais pas. Êtes-vous une de ses amies ?

Lacey ne pouvait pas parler. Après toutes les pistes qu’elle avait suivies, toutes les pièces du puzzle qu’elle avait rassemblées, pour découvrir que son père n’était plus là, c’était une bombe qu’elle ne pouvait pas encaisser. Tout ce qu’elle put faire, ce fut un signe de tête comme un zombie.

L’homme sourit.

– Eh bien, vous venez de le manquer. Il est parti il y a quelques semaines.

C’était la goutte d’eau qui fit déborder le vase pour l’esprit fragile de Lacey. Elle était arrivée seulement quelques semaines trop tard ? Si elle n’avait pas traîné les pieds à chaque étape, elle n’aurait pas été en retard.

Les jambes de Lacey flageolèrent. Sa tête commença à tourner. Soudain, elle eut l’impression qu’il n’y avait plus assez d’oxygène dans l’air. Lacey se sentit faible et s’appuya contre le mur pour garder l’équilibre.

– Oh mon Dieu, dit l’homme, l’air inquiet. Est-ce que ça va ? Vous êtes devenue pâle. Je peux vous offrir un verre d’eau ?

Lacey ne pouvait pas lui rГ©pondre. Elle Г©tait en hyperventilation.

Soudain, Tom Г©tait lГ . Il avait dГ» la voir se trouver mal depuis le van.

Elle sentit sa main sur son dos. Puis Chester commença à la pousser de la truffe, lui apportant un réconfort rassurant.

– Lacey ? dit doucement Tom. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Lacey l’attrapa avec une main tremblante.

– Ce n’est pas lui, dit-elle, haletant pour trouver de l’oxygène. Il est parti. Il a déménagé. Mon père est parti.

Elle Г©tait si prГЁs de trouver son pГЁre, mais Г  cause de sa lГўchetГ©, elle avait ratГ© sa chance.

Elle regarda Tom dans les yeux et vit sa propre douleur se reflГ©ter dans son empathie.

L’homme sur le pas de la porte parla doucement.

– Frank est votre père ?

– Oui… lui dit Lacey, à bout de souffle. Je ne l’ai pas vu depuis des décennies. Je l’ai suivi jusqu’à cette adresse.

L’homme laissa échapper un petit cri de sympathie.

– Je suis vraiment désolé.

Il parlait avec une compassion sincère, Lacey le ressentait au plus profond de son cœur. Sa panique commença à se dissiper.

– Peut-être devriez-vous entrer ? ajouta l’homme. Tous les deux. J’ai à peine redécoré, donc c’est plus ou moins comme votre père l’a laissé. Vous voulez voir à quoi ressemblait le cottage quand il vivait ici ?

C’était une offre généreuse. Lacey était vraiment touchée. Peut-être y aurait-il un indice que Frank avait laissé pour elle. Peut-être y avait-il une chance que sa piste ne se soit pas complètement refroidie.

– Allez, dit l’homme de façon accueillante. Je vais mettre la bouilloire en marche et nous préparer une infusion.

Il se retourna et se dirigea vers l’intérieur, laissant la porte ouverte.

Tom serra l’épaule de Lacey. Elle savait qu’il essayait de la réconforter, mais elle ne pouvait s’empêcher de se sentir agacée par lui. Elle lui avait clairement fait comprendre qu’elle ne voulait pas venir ici, et il ne l’avait pas écoutée. Il l’avait poussée à le faire. Non, ce n’était pas sa faute si son père était passé à autre chose, mais c’était sa faute s’il l’avait poussée à faire un pas de plus que ce qu’elle était prête à faire.

Sans le regarder, Lacey entra dans le cottage, et la main de Tom tomba de son Г©paule.




CHAPITRE HUIT


Il était difficile pour Lacey de cacher sa déception alors que l’homme qui n’était pas son père entrait dans le salon avec trois tasses de thé serrées dans ses mains. Il les posa sur une table basse en bois recouverte de taches rondes. Le liquide déborda sur les parois des tasses, ajoutant encore d’autres marques.

– C’est du vrai thé du Yorkshire, annonça l’homme. Je ne bois pas cet horrible truc préempaqueté. Beurk.

Il sourit, et Lacey se força à sourire aussi, bien qu’intérieurement elle se sentît abattue. Sur le canapé à côté d’elle, Tom semblait trop droit et solennel, comme s’il pouvait sentir la peine rayonner d’elle et s’en sentait responsable. Et même si Lacey répugnait à l’admettre, elle rejetait en quelque sort la faute sur lui. Elle avait toujours dit qu’elle ne voulait pas venir ici, au cas où cette situation se présenterait. Tom était allé à l’encontre de ses souhaits en l’amenant ici, et cela lui laissait un mauvais goût dans la bouche.

Sur le canapé en face de Lacey et de Tom, un chat tigré sauta sur les genoux de l’homme et commença à frotter la tête contre sa main, demandant à être caressé.

– Ce foutu chat errant, dit-il, en grattant affectueusement le chat derrière les oreilles. Il était fourni avec la maison. Je suppose que votre père la nourrissait, parce qu’elle entre dans ma cuisine à six heures du matin et qu’elle miaule dans toute la maison jusqu’à ce que je lui donne son petit-déjeuner.

Lacey essaya de visualiser la scène, mais rien ne lui vint à l’esprit. Oui, son père avait été un lève-tôt, mais un amoureux des chats ? Elle n’avait aucun souvenir de cela. Peut-être que ce n’était jamais arrivé parce qu’ils vivaient dans un appartement à New York. Ou peut-être qu’il s’était mis à les aimer depuis qu’il avait emménagé au Royaume-Uni. Quoi qu’il en soit, ce détail insignifiant lui semblait soudain être un énorme trou béant dans ses connaissances, et ne fit que déprimer encore plus Lacey.

Face au risque d’un véritable choc émotionnel, Lacey prit une des tasses sur la table et but lentement, en l’utilisant pour dissimuler son visage. Un silence gêné s’installa, meublé uniquement par le bruit des gorgées de Lacey.

Tom s’agita sur le canapé.

– Puis-je vous poser une question ?

Il était en mode “Gentleman-Anglais-Génial”, nota Lacey. Il faisait toujours cela quand il était mal à l’aise.

– Allez-y, dit l’homme, tout en continuant à caresser le chat errant excessivement affectueux.

– Vous avez reçu le courrier de Frank ? demanda Tom.

Lacey lui lança un regard noir. Elle comprenait où il voulait en venir, que peut-être la lettre qu’elle avait postée pour son père était arrivée trop tard pour lui, mais pour une raison quelconque, cela lui semblait bien trop personnel pour qu’on en parle à voix haute. Pour Lacey, c’était comme si elle avait une blessure béante et que Tom venait d’arracher le pansement, l’exposant ainsi aux éléments.

– Des bricoles, répondit l’homme. J’ai demandé à la propriétaire une adresse de réexpédition, mais elle a dit que Frank ne lui avait laissé aucune information personnelle.

– Pas de nouvelle adresse ? demanda Tom.

Sa question donnait l’impression à Lacey qu’on lui remuait un couteau dans les tripes.

L’homme secoua la tête.

– Rien. Il était là une minute. Puis la suivante, il avait disparu.

Lacey ne pouvait plus le supporter. Elle se leva, abandonnant le thГ© sur la table basse.

Il Г©tait lГ  une minute, puis la suivante il avait disparu. Comme quand elle Г©tait enfant.

– Je suis désolée, marmonna-t-elle, je dois y aller. M-Merci pour le thé.

Les larmes lui brouillaient la vue lorsqu’elle se précipita hors du salon et se dirigea vers la porte d’entrée. Elle entendit le murmure de la voix de Tom en fond, probablement pour s’excuser de leur intrusion, mais elle l’entendit à peine, car son pouls battait dans ses oreilles, noyant tout le reste.

Elle ouvrit le loquet de la porte du cottage et se précipita sur le chemin, puis contourna la camionnette pour être hors de vue. Elle se pencha en avant, les mains sur les genoux, et prit d’énormes bouffées d’air. Elle était soit en hyperventilation, soit sur le point d’avoir une crise de panique.

C’est à ce moment que Tom apparut.

– Lacey, dit-il, le visage marqué par l’inquiétude. Je suis vraiment désolé. Je n’aurais pas dû te forcer à faire ça.

Lacey le regarda. Des larmes chaudes lui piquaient les yeux.

– Je veux rentrer à la maison, dit-elle. S’il te plaît. Rentrons juste à la maison.


*

Lacey était assise, voûtée, sur le siège passager, et regardait les arbres tachetés pendant qu’ils conduisaient. Du coin de l’œil, elle vit Tom lui jeter un autre regard anxieux.

– Je suis désolé de ce qui s’est passé à Rye, dit-il pour la énième fois depuis qu’ils s’avaient pris le chemin du retour.

– Ce n’est pas ta faute, dit Lacey. Je n’aurais pas dû traîner les pieds.

Elle caressa les oreilles de Chester. Il était assis sur le plancher, restant près d’elle comme s’il sentait intuitivement qu’elle avait besoin de son réconfort.

Elle ne pouvait simplement pas se pardonner de l’avoir manqué de quelques semaines. Maintenant, sans une nouvelle adresse, elle pourrait ne jamais le trouver.

Elle avala la grosse boule qui s’était formée dans sa gorge.

Le trajet avait été silencieux, l’atmosphère sombre. À peine quelques mots avaient été échangés entre elle et Tom, et Lacey détestait la tension et l’inconfort qui en découlaient. Elle fut soulagée quand elle vit le panneau pour Exeter et sut qu’ils seraient rentrés dans l’heure.

Soudain, Tom freina brusquement. Lacey fut précipitée vers l’avant et sa ceinture de sécurité se bloqua. Elle avança instinctivement le bras pour empêcher Chester de passer à travers le pare-brise. Lorsque la camionnette s’arrêta, elle fut projetée contre le dossier du siège.




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